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Le 57ème Régiment d'Infanterie en 1914

4 février 2007

- Du 15 au 21 décembre -Sujet en cours de

- Du 15 au 21 décembre -

Sujet en cours de corrections et mises à jour

A sortie nord-ouest de Beaulne se trouve le chemin creux. Les luttes pour ce sentier qui vont s’y dérouler quelques jours sont révélatrices de l’acharnement des deux camps à grappiller le moindre bout de terrain. Les allemands creusent un boyau d’approche jusqu’à 30 m du premier poste français constitué d’un barrage de sacs à terre et de gabions. Le 15 dans l’après midi, c’est l’attaque surprise du barrage tenu par des soldats de la 11ème Cie. Le groupe ennemi, une vingtaine d’hommes, est repoussé par une fusillade qui en tue deux et en blessent quelques autres. Enhardis par le succès, les français poursuivent, sont mitraillés à leur tour, et doivent se replier avec quatre blessés.
Le 18 ce poste avancé est conquis et ses quatre défenseurs sont faits prisonniers. Un peu plus loin le deuxième barrage occupé par une demi section résiste non sans mal et réussi à repousser les assaillants.
Le 19, contre attaque française : Assaut mené par trois sections qui reprend le premier poste perdu la veille, et dans la foulée enlève le poste allemand 30 mètres plus loin faisant 7 prisonniers.
Le 20 dans la matinée, les allemands reviennent et récupèrent leur poste avancé. Le soir la 3ème Cie attaque à nouveau pour le reprendre mais doit reculer. Le commandant du régiment met fin à ces actions stériles en ce point.
Pendant ce temps, le père Noël prépare sa hotte pour le 24...

- 24 décembre -

Le sergent Henri ROBERT, du 123ème RI, a laissé 200 lettres écrites entre le 3 août 1914 et le 28 avril 1918… Il a été tué le 30. Ces lettres ont été publiées sous le titre Impressions de guerre d’un soldat chrétien, librairie Fischbacher, 1920. Il était avant la guerre pasteur auxiliaire de Pons (Charente Maritime).
Nous commencerons ce joyeux Noël par ce qu’il écrivait 11 jours plus tard. Bien entendu, Robert ne se trouvait pas sur les lieux, étant dans un secteur à gauche de celui du 57ème, et nous voyons là un exemple typique des difficultés à cerner la vérité, les détails si importants pour l’analyse, si l'on ne s'en tient qu'aux témoignages. Homme honnête, Robert n’a fait que rapporter et interpréter ce qu’il a entendu dire, d’abord avec une teinte d’humour moqueur, puis avec une compassion sincère pour les camarades morts.

"Moussy, 4 janvier 1915.
Ces jours derniers, il y a eu dans nos parages, de violentes disputes avec les voisins d’en face. Le 57ème s’était lancé dans une aventure où il n’a malheureusement récolté que plaies et bosses. S’avisant qu’une tranchée boche semblait être abandonnée, nos bons bordelais s’imaginèrent pouvoir cueillir des lauriers faciles en allant l’occuper. Tout allait à merveille; ils travaillaient déjà à en consolider les parois, quand une mitrailleuse allemande bien placée, les inonda d’une grêle de balles. Il leur fallut abandonner précipitamment leur nouvelle conquête et revenir en arrière, opération très malaisée, où ils perdirent environ 80 hommes.
Notre canon a bien essayé de détruire cette tranchée boche; mais là bas, sur le talus, on peut apercevoir des pantalons rouges et des capotes bleues. Personne n’ira enterrer ces pauvres camarades."   

Raymond La Chance et la 7e Cie n'ont pas été plus impliqués dans cette affaire que Robert et le 123ème, mais il m'a paru intéressant de terminer cette année 14 par un exemple parfait de la stupidité de certains décideurs, de leur ambition, de leur désir de prouver qu'ils ont été entreprenants, exécutants zélés des directives du général en chef Joffre, l'âne qui commandait des lions. (Partout, de la Suisse à la mer du Nord de telles initiatives locales vont faire des dizaines de milliers de morts pour rien, mais la pire année reste à venir, 1915, non pour le 57ème mais pour de nombreux autres régiments engagés dans des batailles sans résultats déterminants, avec des pertes énormes. Interpelé, l'âne ne trouvera rien de mieux que de répondre "je les grignote"...).
Si l'on peut comprendre des sacrifices afin de conquérir une position stratégique d'importance, il est permi de douter de l'intérêt de cette attaque sur la tranchée à claies, c'est son nom.

Voici un croquis du secteur de Beaulne (utiliser le zoom), avec mention de la présence de la 7e Cie. Itinéraires de patrouilles et renseignements recueillis, travaux effectués durant les 4 jours en ligne. Ce document n’est malheureusement pas daté mais on peut penser à fin 1914. En effet, le réseau des tranchées est des plus réduits, nous en sommes aux débuts des travaux. La tranchée allemande reconnue par la patrouille de la 7e Cie est sans nul doute la tranchée à claies.

Entre le livre de Couraud et le rapport du général Bonnier, commandant la 35ème DI, nous tenterons d'y voir clair, ou pour le moins d'apporter des informations au pasteur Robert, à titre posthume... Le général Marjoulet, commandant le 18ème CA, en rajoutera une louche. Un grand moment que la lecture de ce rapport. Dans le registre "ouverture de parapluie", on ne peut faire mieux. C'est que les pertes ont été sévères pour les 144 et 57ème, alors il faut bien rendre compte en haut lieu, surtout démontrer l'intérêt de l'attaque et puisque ce fut un échec, citer des coupables. Mais Couraud présente une version des faits quelque peu différente...

Voici donc deux photo-montages, le rapport de Bonnier, et des pages extraites du livre de Couraud. J'ai souligné en rouge quelques lignes qui sont à comparer entre les deux textes... (Utiliser le zoom). Au début du rapport de Bonnier, on notera le cadeau de Noël préparé pour les casques à pointe par leur commandant... Quelle époque !... Quel cadeau ! Un cadeau certes pour le colonel qui n'aurait pas risqué sa peau dans cette attaque et en aurait tiré des lauriers en cas de succès, ou en cas d'échec aurait emballé l'affaire avec un rapport en bonne et due forme, comme celui de Bonnier. Une pensée personnelle à traduire en allemand: Mon colon est trop bon, mon colon est un père pour nous !

Le bilan... Bonnier cite des chiffres concernant bien entendu les deux régiments. "92 dans les tranchées allemandes" (occupation des lieux par éléments des 144 et 57 puis arrosage par les mitrailleuses de Chivy),  "111 en avant de nos lignes dont 1 officier" (contre-attaque du 57 ayant "manqué de mordant". L'officier est le sous-lieutenant Eyt-Salanave, voir plus loin les disparus du journal Sur Le Vif). Couraud: "Parmi eux plus d'une centaine dort de son dernier sommeil sur le glacis de chivy par cette belle nuit de Noël".

"Personne n'ira enterrer ces pauvres camarades"

Si l’on recoupe les informations de Bonnier et celles de Couraud on voit effectivement que les compagnies engagées du 57 (1ère 3ème 9ème) ont eu une centaine de tués.
Sur le site MDH visionné complètement fiche après fiche, on relève 52 tués le 24 décembre pour le 57. Quelques uns sont morts des suites de leurs blessures (voir tableau plus bas) mais nous sommes loin de "plus d’une centaine". Et cet épisode en dit long sur le nombre précis de morts dans cette guerre. Certes, on sait que les fiches MDH ne sont pas la totalité; il en manque des dizaines de milliers dont peut-être la cinquantaine des absents de ce joyeux Noël

- Du 25 au 31 décembre -

Le 28, un minen tombe sur la section de mitrailleuses du sous-lieutenant Sempé.
3 tués, 4 blessés, 1 pièce détruite, l'autre ensevelie. A cette époque, chaque bataillon ne dispose que d'une section de mitrailleuses (2 pièces servies chacune par 3 ou 4 hommes) et il est curieux de constater qu'elles étaient placées si près l'une de l'autre qu'un seul coup au but pouvait les détruire. J'ignore pour l'instant la raison de cette disposition déjà remarquée sur le plan que l'on a pu voir plus haut (le croquis du secteur de Beaulne).

Le tableau des morts en 1914 dans le secteur de Verneuil: En l’absence d’états nominatifs, le classement par compagnie n’a pas été possible, et les dates tout comme les nombres sont le report des fiches MDH classées. Ces états ont surement existé mais ont disparu des archives. Ou peut-être ont-ils été placés par mégarde dans un carton concernant un autre régiment...

Voici les dernières annonces des familles inquiètes...Elles concernent deux victimes du père Noël, et sont par leur contenu aux extrêmes de tout, réunies ici, comme un symbole, par le plus grand des hasards si l'on songe que sur plus de 1000 tués ou morts des suites de leurs blessures en 1914, 30 ont fait l'objet d'annonces dans Sur Le Vif. Tout les séparait et de loin, y compris les dates de parution dans le journal... A gauche le sous-lieutenant Eyt-Salanave, un bordelais de 32 ans. A droite le soldat Schmitt, un Nancéen de 20 ans. Chivy, Verneuil, lire "Beaulne"; le 24 décembre, c'est la "tranchées à claies", entre Beaulne et Chivy, dans "le secteur de Verneuil". J'ai corrigé la date sur la fiche d'Eyt-Salanave, l'année avait déjà été remplacée mais à tort par 1915. Le girondin et le lorrain se retrouvent donc ici côte à côte, eux et eux seuls, terminant la série des annonces. Pour en ajouter à ce hasard (vu la rareté des annonces), soulignons qu'en 1914, les régiments étaient composés principalement de "régionaux" et que seulement deux lorrains figurent parmi les morts de cette année: Le commandant Lionnet, chef de bataillon, tué le 16 septembre à La Ville-aux-Bois... Et le soldat de 2ème classe Schmitt, né et domicilié à Nancy...

La Gazette des Ardennes: Un hebdomadaire édité en zone occupée et donc sous contrôle allemand bien entendu. Le premier numéro du 1er novembre 1914, avec engagement d'objectivité... Quoiqu'il en soit, ces documents sont une mine d'informations (à recouper avec d'autres) pour télécharger la totale c'est ICI.
A partir du 2 avril 1915, La Gazette publie les listes des prisonniers en Allemagne. Des retards certes entre informations et publications, ce qui fait sans doute que jusqu'au dernier numéro du 8 novembre 1918, je n'ai pas vu Raymond dans le journal, fait prisonnier le 3 juin 1918. Puis viennent des listes de blessés rapatriés (les définitivement inaptes à la guerre, amputés, etc) mais aussi à partir du 24 mai 1916 les listes des tombes répertoriées en arrière du front allemand. On enterrait partout, dans le cimetière du village vite plein, dans le jardin du curé, à la sortie du village, partout. Mais pas toujours avec les renseignements complets, d'où beaucoup d'inconnus, de fosses communes, et aussi bien entendu d'erreurs de transcriptions par les autorités allemandes ou d'imprimerie de la part du journal. Un exemple parmi d'autres, extrait de la Gazette du 5 mai 1917. Un fichier word avec commentaires à voir ICI.

Nous retrouverons Raymond et ses camarades dans un autre blog, autre travail...

Le 57ème Régiment d'Infanterie en 1915

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

 

 

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5 janvier 2007

CORBENY - LA FIN DU REVE

 "La fin du rêve" oui, car Raymond et ses camarades, qui n'avaient bien entendu aucune idée de la situation générale, pensaient-ils que cela allait durer encore longtemps ?  En "réserve" et suivant le 18ème CA durant la bataille de la Marne, puis quelques escarmouches avant d'investir Corbény en chantant la Marseillaise et sans pertes ? Pensaient-ils que l'ennemi allait ainsi continuer à retraiter jusqu'au Rhin ?
C'est fini.

- 14 septembre -

Ce croquis montre la situation du 18ème CA dans la région. De gauche à droite, les anglais (W), puis les 38ème, 36ème DI, et enfin la 35ème avec pour finir le 57 à Corbény. La 69ème brigade (6ème et 123ème RI) a une fois de plus (cf "la Sambre") été enlevée à la 35ème DI et mise à la disposition du général commandant la Vème armée. Les 53ème et 69ème DR ayant reculé et s’étant repliées sur Berry-au-Bac (elles n’avaient sûrement pas le choix...) une grande ouverture s’offre à l’ennemi qui arrive en masse depuis Amifontaine pendant que le 57 va subir une attaque à Corbény. On y voit immédiatement le danger, la progression en suivant la rive droite de l’Aisne puis l’enveloppement du 18ème CA au complet.

carte de la région (1913)

14 septembre 11h55
A 10 h Craonne est repris. Je tiens toujours Corbény, mais ma droite est en l’air par suite repli groupe divisions de réserve sur Berry-au-Bac. (Radio du 18ème CA reçu au PC Vème armée à Pargny le 14 à 13h47)

"Ma droite est en l'air"... Les militaires ont leur langage mais il est clair. Cela signifie que l'ennemi peut s'engouffrer sous l'aile droite qui n'est plus protégée.

A 9h, un très violent tir d'artillerie se déchaîne sur les avants postes et le village. 105, 150, 210, l'intensité de ce bombardement et les calibres employés terrifient les hommes applatis au fond de leurs trous individuels ou ébauches de tranchées.

14 septembre 9h30
18ème CA à 35ème DI
A votre gauche, la 36ème DI souffre beaucoup. Ne pourriez-vous pas reprendre un peu la marche à Corbény pour attaquer le plateau de Craonne ?

Réponse 35ème DI à 11h35:
Au moment où j'allais donner l'ordre au général commandant la 70ème Bde à Corbény de chercher à aider la 36ème DI, j'apprends qu'une colonne ennemie, venant du NO descend sur Corbény, qui paraît donc sérieusement menacé. Il m'est donc impossible de distraire aucune fraction de Corbény pour attaquer le plateau.

Le pilonnage dure deux heures, puis l’infanterie allemande passe à l’attaque, mais doit rapidement s’arrêter sous un feu intense de fusils et de mitrailleuses, lesquelles sont enfin placées en première ligne. La fusillade est générale entre les adversaires, mais cet ennemi « qui répond à coups de fusils et n’ose pas aborder de front nos troupes » comme l’écrit Couraud, n’avait-il pas tout simplement pour mission de « fixer » le 57 sur Corbény ? La brèche, sur la droite qui est « en l’air » est d'environ 7 km, de quoi largement laisser passer du gros… L’Etat-Major du 18ème CA a sûrement compris l’astuce, puisque l’ordre d’évacuer Corbény est donné. Le 57 doit se replier sur La Ville-aux-Bois et « établir aux lisières nord et est du village une défense »…
A 14h le repli commence. L’artillerie allemande, avec ses canons lourds, qui ne peuvent être contre-battus par les 75, opère un pilonnage en règle des routes et des chemins (pour empêcher le repli ?). Le régiment parvient tout de même, à travers champs ou par des sentiers détournés à quitter la zone. Mais les voitures ne peuvent sortir de Corbény, en particulier les ambulances. Au cours du bombardement et de la fusillade du matin il y a eu des morts (dont le capitaine Pougnet, de la 6ème Cie), et des blessés. Ces derniers ont été portés dans l’église où fonctionne un poste de secours. Ils y resteront jusqu’à l’arrivée des allemands, avec le personnel médical qui reste auprès d’eux et qui sera fait prisonnier également.

Extrait du Journal de Santé du régiment: …. Le général de brigade Pierron, le colonel commandant le 57 (Debeugny) se tiennent près de l’église. Le médecin chef de service s’entretient avec eux. La situation parait délicate mais aucun ordre ne nous est donné, soit par le médecin chef, soit par le colonel. Confiants, nous continuons notre travail...

L'ennemi ne poursuit pas... Et le 57, arrivé à La Ville-aux-Bois en organise la défense. Le 2e Bon occupe une position le long du chemin qui mène à La Musette, la 7e Cie à mi distance.  Compte rendu de la situation

18ème CA, PC de Pontavert
          Etat-Major, 14 septembre 17h15
d’après les renseignements parvenus jusqu’à 17h15

Nous nous sommes emparés de toute la crête du Chemin des Dames, moulin de Vauclerc jusqu’à Craonne. Nous avons évacué Corbény sans y être forcé par l’ennemi, mais pour relier notre position à celle du groupe de divisions de réserve sans être trop en pointe. Notre droite sera face au NE, tenant: Craonne, le bois de Beau-Marais, La Ville-aux-Bois. Je conserve sur la rive gauche, pour parer à toute éventualité, deux régiments, l’A.C. et l’A.L. J’établis mon Q.G. à Roucy.
Les communications sont très lentes et très difficiles en raison du mauvais état des chemins et des nombreux convois qui les parcourent en sens divers (18ème CA et Corps de Cavalerie). Nous sommes en relation avec les anglais qui, après avoir été repoussés, se portent à notre hauteur et ont même l’intention d’attaquer le plateau. Je les soutiendrai dans la mesure du possible.
Je ne puis apprécier nos pertes qui semblent assez sérieuses. Mr le lieutenant-colonel Croizé-Porcelet de l’A.D.36 et le colonel Capdepont du 34ème d’infanterie sont parmi les blessés. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’accorder encore quelques croix et médailles à répartir dans les régiments. La première distribution de médailles qui a été faite a produit le meilleur effet.
19h30, rien de changé à la situation. Je suis arrivé au Q.G. de Roucy.
P.O. Le chef d’E.M. Vuillemot

2 janvier 2007

DE LA SEINE A l'AISNE

Nous évoquerons ici quelques aspects seulement de « La Marne » et dans la région où se trouvait le 18e CA,  à l’ouest du dispositif. Si avec le recul du temps et la connaissance des évènements qui en furent le prélude, cette bataille peut paraître simple dans son schéma, elle est très complexe dans les détails de son déroulement comme de son issue…

Genèse de la bataille

La victoire (partie ouest)

  - 6 septembre -

Depuis la veille, la VIème armée Maunoury est aux prises avec le IVème CR. Cet engagement prématuré dû à une avance imprudente et insuffisamment éclairée par la cavalerie alerta s’il en était encore besoin Von Kluck sur le danger qui le menaçait du côté de son aile droite. Mais le matin de ce 6 septembre, personne dans le camp ennemi ne soupçonne une attaque générale sur tout le front, de Paris à la Lorraine.
A la gauche de la Ve armée, le 18e CA attaque dans l’axe Montceaux-Lès-Provins - Montolivet. Il a devant lui le IIIème CA de la 1ère armée VK dont les éléments occupent la ligne Montceaux - Sancy à 5 km au nord. Pour la première fois depuis le début de la guerre ces troupes allemandes ne sont pas des avants mais des arrières gardes qui couvrent le repli du IIIème CA rappelé par Von Kluck.

Après une violente préparation d’artillerie (enfin quelques leçons du mois d’août retenues…) le 123ème RI occupe Montceaux-Lès-Provins vers 22h. Le 57 reste en réserve et va bivouaquer aux lisières sud de Villiers-St Georges, les habitants distribuent du pain aux soldats. Petite journée pour Raymond et ses camarades, 4 km seulement, longues attentes à l’abri d’un bois ou du ravin d’un ruisseau.

 - 7 septembre -

Au lever du jour le régiment se remet en marche et vers 7h stationne sur les rives de l’Aubetin près de Champcouelle. Dans l’après midi il traverse Montceaux-Lès-Provins et Raymond voit pour la première fois l’effet dévastateur de l’artillerie sur un village. Des maisons écroulées et incendiées, des voitures démolies et leurs attelages tués, des débris de toutes sortes jonchant les rues. Une centaine de blessés allemands abandonnés dans des ambulances lors du replis précipité sont dirigés vers Nogent-Sur-Seine. A la fin de cette deuxième journée « promenade », 14 km, le régiment est au bivouac à la ferme des Bordes, près de Réveillon.

Sur le front nord-est de Paris, la tentative d’enveloppement de l’aile droite allemande est un échec. Arrêtée net le 5 septembre par le IVème CR, la VIème armée Maunoury malgré de furieux engagements ne peut progresser le 6 et des renforts allemands arrivent, Von Kluck revient… C’est tout d’abord le IIème CA, puis le IVème, et enfin les IIIème et et IXème qui quittent le front de la Vème armée pour se diriger à marches forcées direction nord-ouest… En effet, VK rejette la solution défensive face à Paris et porte donc toute son armée sur Maunoury qu’il veut envelopper totalement, profitant de la position très en retrait des anglais et de l’attitude hésitante de French qui ne bouge pas son armée malgré les interventions pressantes de Galliéni :
« Je prie instamment le maréchal French de bien vouloir de son côté porter son armée en avant, conformément aux instructions du général Joffre, de manière que l’offensive générale prévue pour aujourd’hui soit bien générale et pour qu’il y ait entre les diverses armées une concordance qui seule peut assurer un succès décisif ».
French a devant lui la puissante cavalerie allemande. Cette cavalerie d’armée, très mobile, dotée de mitrailleuses et d’artillerie est très experte également dans les combats d’arrière garde. Elle couvre ainsi le retrait des corps d’infanterie qui se portent sur Maunoury. Elle n’aurait cependant pas pu résister longtemps face aux trois corps d’armée anglais, mais comme le souligne Von Kluck : « Heureusement pour nous, le commandant en chef anglais n’était pas un Blücher ». Il fallait que VK agisse très vite pour liquider Maunoury avant l’entrée en lice des anglais et la partie s’avérait périlleuse pour la 1ère armée. Le 7 au soir : « Nous attendîmes le lendemain avec inquiétude. Quand les anglais allaient-ils apparaître sur la Marne ? »

 - 8 septembre -

La gauche de la Vème armée n’a plus en face d’elle que des arrières gardes d’infanterie et de cavalerie, la droite fait face à la 2ème armée Von Bülow. Avec le retrait de Von Kluck et les mouvements de ses CA une brèche se creuse, un vide, entre les 1ère et 2ème armées allemandes…

Le 57 quitte Réveillon à 6h et franchit le Grand-Morin à Villeneuve-La-Lionne, au même endroit que le 5 septembre à la fin de la retraite. Il s’arrête près de Montolivet pendant que le régiment frère, le 144ème RI, refoule sur les abords du Petit-Morindes éléments de cavalerie. Vers 16h le passage est libre. Evitant des zones battues par l’artillerie allemande, avançant avec précaution, toujours au contact avec les arrières gardes ennemies, la 70e Bdeest en fin de journée à 1 km au nord de La Celle-sous-Montmirail, après un parcours « tranquille » de 15 km. L’ennemi recule, le moral remonte. Le régiment s’installe au bivouac. Il pleut, et les hommes s’abritent comme ils peuvent contre des meules de paille. Au début de la nuit des coups de feu claquent, accrochages de patrouilles avec des groupes ennemis, puis c’est le silence jusqu’au matin.

  - 9 septembre -

Au nord de Meaux, Maunoury est dans une situation plus que délicate... C’est la bataille de l’Ourcq. La VIème armée, malgré une résistance acharnée est à bout de force. Elle devait attaquer la 1ère armée allemande sur le flanc et sur l’arrière et se retrouve dans une situation inverse aujourd’hui. Pressée sur son front, elle voit surgir sur sa gauche le IXème CA arrivé avec le IIIème après des efforts de marche inouïs. De plus, pour arranger le tout, elle est menacée sur son arrière gauche par une brigade d’infanterie, et bloquée sur sa droite par la Marne, en aval de Meaux.
La 2ème armée Von Bülow a replié son aile droite sur une ligne Margny - Le Thoult, et c’est maintenant une brèche de 40 km qui sépare les deux armées allemandes. Les anglais passent enfin à l’attaque et franchissent la Marne. A Montmort, au QG de Von Bülow, les bagages sont prêts depuis la veille et le commandant de la 2ème armée ordonne la retraite le matin de ce 9 septembre. Il connaît l’ampleur de la brèche, il pense que la 1ère armée est dans une situation de grand danger et qu’il est hors de toute possibilité de l’aider. Au QG de VK, à Mareuil, le lieutenant-colonel Hentsch (l’envoyé de Moltke) qui a pouvoir de la Direction Suprême d’ordonner la retraite des armées dans le cas où la situation l’exigerait, ne peut que donner cet ordre après la décision de Von Bülow. Von Kuhl, le second de Von Kluck, s’étend longuement sur cet épisode dans ses mémoires. Il écrit que la 1ère armée n’était nullement en mauvaise posture, que la défaite totale de Maunoury était imminente, les anglais pouvant être contenus sans difficulté sur la Marne, et il tient pour clairement responsable Von Bülow qui aurait pu pendant ce temps contenir la Vème armée. « C’est à Montmort (QG VB) et non à Mareuil (VK) qu’est survenue la décision ». Et pour en finir, un autre extrait :
« Telle était la situation quand une brèche s’offrit inopinément à Joffre dans le front de bataille allemand à l’ouest de Montmirail. Au lieu de l’enveloppement ce fut la percée commençante qui conduisit au but et qui, contre toute attente renversa la situation par ailleurs entièrement défavorable. C’est là « le miracle de La Marne ». Le résultat en fut un grand succès français. C’est discuter vainement que de chercher si les français sont en droit de le qualifier de victoire. Nous avons évacué le champ de bataille. Le désavantage essentiel de la bataille de la Marne fut pour nous le coup qu’en ressentit notre prestige militaire. La France respira au moment où elle était sur le point d’être vaincue. C’est de là que datent le raffermissement de sa force de résistance et sa foi en la victoire finale ».

Le soir les colonnes de tête du 18e CA sont à quelques kilomètres de Château-Thierry. Le 57, toujours en queue du CA bivouaque près de Rozoy-Bellevalle. 8 petits kilomètres aujourd’hui. Le ravitaillement arrive et on fait la soupe.

 - 10 septembre –

A l’aube un renfort de 474 soldats conduit par deux sous-officiers et un lieutenant arrive enfin. Débarqués loin du front avec 4 jours de vivres, ayant erré pendant 6 jours à la recherche du régiment, ils ont du faire leur pain eux même avec de la farine achetée par le lieutenant. C’est finalement le fils du colonel Debeugny (le Cdt du 57), engagé volontaire et faisant partie de la troupe, qui est parti en vélo à la recherche du régiment puis l’ayant enfin trouvé est revenu renseigner l’officier.
Les compagnies sont reconstituées à 200 hommes environ, certaines sont commandées par de jeunes sous-lieutenants, le manque d’officiers se fait sentir, août 14 est passé par là… Le régiment lève le bivouac à 8het gagne Château-Thierry où il cantonne dans le quartier sud-est. La ville a été pillée et saccagée et les maisons portent les traces de combats de rues. Couraud écrit que « dans tous les recoins, dans les caves en particulier, on cueille des prisonniers en grand nombre, victimes pour la plupart du bon vin de France »… Admettons...

 - 11 septembre –

Le 57, de Château-Thierry, par Epieds, Beuvardes et Villers-sur-Fère, arrive à Sergy après une marche de 27 km. La fin du parcours est effectuée sous une pluie battante et le soir les hommes allument de grands feux pour faire sécher leurs vêtements.

- 12 septembre –

Le régiment quitte Sergy à 7h. Jusqu'à Mareuil-en-Dôle il remonte la route empruntée en sens inverse le 2 septembre, puis il bifurque sur la droite en direction de Fismes. Les chemins sont détrempés par la pluie et défoncés par les convois d'artillerie, ce qui rend la marche très pénible. Après Chéry il prend un itinéraire qui passe derrière les hauteurs de Saint-Gilles afin déviter une zone battue par l'artillerie lourde allemande installée au nord-ouest de Fismes.
La mission du 18e CA est de s’emparer de Fismes et des ponts sur la Vesle en amont. Vers 15h les zouaves et les tirailleurs algériens de la 38ème DI (rattachée au 18ème CA) prennent Fismes.
Le 57 franchit la Vesle à Breuil puis arrive à Montigny-sur-Vesle où il s’installe en cantonnement après un parcours de 27 km effectué en grande partie sous la pluie.

Depuis le 10 septembre, la poursuite des armées allemandes est engagée. D’abord lente et hésitante, le repli ennemi étant passé inaperçu en de nombreux points, elle s’accélère un peu plus maintenant, malgré la fatigue de nombreux régiments. Sur la carte, la situation de Von Kluck n’est pas brillante. Talonné par la VIème armée Maunoury qui, après avoir échappé au désastre, peut maintenant poursuivre le « presque vainqueur de la veille », inquiété sur sa droite par le 1er corps de cavalerie Bridoux (le successeur de Sordet…) qui avance vers la Somme, sa gauche ne peut rejoindre la droite de Von Bülow car anglais et Vème armée d’Esperey avancent vers le nord et le nord-est, interdisant donc à la 2ème armée de s’étendre vers la 1ère. Mais du 12 au 14 septembre, la brèche est colmatée par l’arrivée du VIIème CR et des premiers éléments de la 7ème armée Von Heeringen rameutée d’Alsace dès le 5 septembre. Le VIIème CR était retenu par l’héroïque résistance de la place de Maubeuge depuis le 25 août, et la capitulation a eu lieu de 7 septembre. L’armée Heeringen devra quant à elle faire le grand tour par la Belgique, en chemin de fer d’abord, puis se diriger vers le sud à marches forcées. Mais ces troupes arrivent à temps sur l’Aisne, il n’y a plus de brèche. La 1ère armée est sauvée d’un grand danger, et déjà se dessine de Soissons à la Suisse, une grande partie du futur front de guerre...

13 septembre -

A 5h le régiment quitte Montigny-Sur-Vesle précédé par une reconnaissance du 123ème RI. Ces derniers jours le ravitaillement a été perturbé par les déplacements de troupes, les convois sont arrivés en retard, ou incomplets, ou ne sont pas arrivés du tout. Mais à Ventelay, une bonne surprise attend la 35ème DI.

Ventelay le 13 septembre.
Le général commandant la 35° DI à M. le général commandant le 18° CA.

L’ennemi qui tenait Ventelay cette nuit est parti précipitamment ce matin, vers 4h, au moment où mon bataillon d’avants postes faisait reconnaître les abords du village. Dans sa retraite précipitée il a laissé environ 9000 pains, 30 caisses de conserves, 6 sacs de riz, 6 sacs de sel fin, 1 sac de café. Les distributions régulières ayant fait défaut hier soir, ou ayant été insuffisantes à la 35° DI, j’ai mis la main sur ces approvisionnements et j’en fais la distribution aux différentes unités de la 35° DI au fur et à mesure de leur passage à Ventelay.
Les unités allemandes qui occupaient la région de Ventelay appartiennent au VII° CA.
Le 123° a eu 7 hommes blessés légèrement. On a trouvé deux cadavres allemands. Il a été fait 4 prisonniers provenant tous du 55° Rgt (26°Bde, VII° Corps). Ils disent que leur brigade entière est arrivée hier dans la région, venant de Maubeuge.
Marjoulet.

Après Ventelay, le 57 traverse Roucy. La population acclame la troupe. 12 jours après le passage des casques à pointes ils voient revenir les capotes bleues. Mais ces habitants des bords de l'Aisne n'en ont pas fini avec la guerre... A Pontavert, ils apportent des bouteilles de Champagne cachées jusque là et soustraites aux prélèvements de l'ennemi. Franchissant l'Aisne, la 35ème DI se dirige sur Corbény.
Le 57 est en avant garde, 2e Bon en tête de colonne, 7e Cie en pointe.
Vers 9h, à 1500 mètres au nord de Pontavert, après la côte 87, la 7e Cie reçoit quelques coups de feu qui semblent venir de la direction de Corbény. Elle s'arrête, et une patrouille est envoyée reconnaître les lisières du bois de Beau-Marais mais reçoit de nombreux coups de fusils et ne peut dépasser la ferme du Temple. Ces avants postes qui tiraillent dès que l'on se montre sont certainement des éléments de la cavalerie d'armée allemande qui ne pourront résister longtemps à un assaut en règle d'infanterie. (Un compte rendu de situation du 13 septembre, adressé par la 35ème DI au 18ème CA signale à 14h30 que "Corbény ne paraît occupé que par de la cavalerie pied à terre").
L'artillerie réduit au silence ces avants postes, et les unités d'infanterie approchent de Corbény. Les 75 bombardent maintenant le village puis à 19h l'assaut est donné par le 1er Bon "en chantant la Marseillaise" écrit Couraud. Les 7 et 8ème Cies bientôt rejointes par le reste du 2ème Bon et le 1er, entrent aussi dans le village par l'ouest. L'ennemi est refoulé de Corbény que le régiment en entier occupe maintenant et en organise la défense aux lisières nord.

Extrait du Journal de Santé du régiment: ...13 septembre, Corbény. Tout le personnel médical se rend à Corbény avec les blessés. Dans le village nous trouvons derrière l’église quatre morts et une douzaine de blessés du 1er bataillon. Tout le mal a été fait par un obus français tombé sur le village au moment de l’attaque à la baïonnette de Corbény par le 1er bataillon. On décide de former le poste de secours à l’église où se trouve le matériel de couchage nécessaire (matelas), car la deuxième section de l’ambulance de la garde impériale allemande s’était installée à l’église et à la mairie de Corbény avant nous. Les blessés sont portés à l’église. La plus grande partie des morts et des blessés de la journée appartiennent au 1er bataillon. Au total nous comptons une trentaine de blessés et huit morts. A la mairie nous trouvons une vingtaine de blessés allemands gravement atteints avec cinq infirmiers et un médecin de réserve. Le personnel médical allemand et les blessés sont traités avec tous les égards possible.

Le 1er bataillon était mené par le commandant Picot. Promu lieutenant-colonel le 24 septembre 1914 il va commander le 249ème RI jusqu'au 15 janvier 1917, date à laquelle il sera blessé à la tête par un éclat d'obus, à Belloy-en-Santerre dans la Somme. Le côté gauche de la face est gravement atteint, un oeil crevé et une partie de la boite cranienne entamée. Après la guerre il fut un des membres fondateurs et le premier président de l'association des "gueules cassées" (pages 5-6-11). Il a été député de la Gironde de 1919 à 1932.

 


 

Le cahier de Constant Vincent - 7ème Cie: (60 Ko word). Du 6 au 13 septembre.
Les carnets de route du sergent Dartigues: (pdf 2 Mo). Du 1er au 12 septembre.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14 mai 2006

DE L'OISE A LA SEINE

- 31 août -

Dès l’aube, après quelques heures de sommeil, les troupes de la 35e DI se remettent en marche, la 70e Bde en arrière-garde. Les 1e et 2e Bon du 57e RI passent par Vivaise où ils s’arrêtent une demi-heure. Les habitants offrent aux soldats du vin et du cidre. Les deux bataillons, pour une fois ne sont pas pressés, le 3e Bon et l’E.M. qui sont partis de Chevresis-les-Dames doivent les rejoindre à Aulnois-sous-Laon. Le 3e Bon s’arrête à Assis-sur-Serre pour laisser s’écouler les troupes de la division et fait sauter les ponts après le passage de la dernière unité.

Les 1e et 2e Bon arrivent à Aulnois-sous-Laon à 15h, le 3e et le colonel à 16h. Il n’y a pas eu de ravitaillement depuis le matin du 29 à Parpeville, et les hommes n’ont que du potage instantané et du café à avaler.

V°Armée
Q.G. 31 août, 17h
Par ordre du général commandant en chef, malgré l’état de fatigue des troupes, à l’énergie desquelles le commandant de la V°Armée fait appel, l’armée se portera demain derrière l’Aisne et continuera à marches forcées après demain son mouvement vers le sud.
Ce mouvement est nécessaire pour l’exécution du plan d’opération du commandant en chef et doit être exécuté coûte que coûte et quelles qu’en soient les conséquences.
Lanrezac

Il s’agit maintenant de retraiter au plus vite. Car pendant « le coup d’arrêt » à Guise, la 1e armée Von Kluck a continué son avance à marches forcées. Elle a sensiblement modifié sa direction qui est passée de sud - sud-ouest à sud…

V° Armée
Q.G. 31 août, 18h
Sur l’ordre impératif du commandant en chef, la V°Armée se repliera dès cette nuit au sud de l’Aisne par une marche forcée.
La marche continuera les jours suivants dans la direction de la Marne. Il sera fait appel par les chefs de tous ordres à l’énergie la plus extrême des troupes.
Lanrezac

A Aulnois-sous-Laon le 57e se remet en marche à 18h. Par Cerny-Lès-Bucy, Mons-en-Laonnois, il arrive à Beffécourt. Tandis que la troupe se prépare pour un temps d’arrêt, l’ordre de reprendre la route arrive. Ce n’est pas demain que commenceront les mouvements devant porter l’armée au sud de l’Aisne, mais cette nuit même. Et la marche reprend.

- 1er septembre -

Une grand’ halte est faite au nord d’Urcel à 02h. La troupe qui dormait déjà en marchant s’écroule sur le bord de la route et dans les fossés. Les sentinelles sont relevées toute les demi-heures. Réveil après 2h de sommeil, les sections se reforment, les gradés comptent les têtes, et le régiment repart à 04h. Après Filain et une longue côte, une pause d’une demi-heure a lieu et les dernières tablettes de bouillon sont consommées ainsi que du café. Sur le bord du plateau, une petite route est empruntée sur 2 km puis c’est la descente, à nouveau vers le sud. Cette voie que les soldats laissent maintenant sur leur gauche et qui court sur le plateau, c’est le chemin des Dames... Les marcheurs ne se doutent pas qu'il va devenir tristement célèbre suite à l'offensive d'avril 1917, beaucoup y laisseront la vie le 5 mai.
Par Ostel, les troupes descendent vers l’Aisne et son canal latéral. Les colonnes s’étirent sur la route, la fatigue est grande et les plus résistants sont épuisés. Tous ces kilomètres depuis le 23 août, le manque de sommeil, de nourriture aussi, et la soif et l’atroce supplice des pieds, tout cela s’accumule jour après jour. Il y a bien eu des nuits passées en cantonnement, mais elles furent courtes; arrivée tard le soir, lever avant l’aube pour repartir. Le ravitaillement n’est pas souvent au rendez-vous, égaré ou retardé, et le régiment n’est plus là quand il arrive. Alors il faut être prévoyant, conserver quelques biscuits, quelques tablettes de bouillon. Le bidon de 1 litre est vite vide lorsqu’on a très soif et les moindres points d’eau, puits ou fontaine de village sont pris d’assaut. Il y a aussi les chemins difficiles, les nombreuses côtes, et la chaleur.
Après avoir traversé l’Aisne et le canal, le régiment gravit les hauts coteaux et par Vauxtin, arrive à Paars à 19h, à la fin d’une journée de marche effectuée sous une chaleur torride. On s’arrête avant le village et s’installe pour le bivouac; les fusils sont en faisceaux, les sacs à terre. Il n’y a plus de vivres et les hommes s’endorment sans avoir mangé.
Depuis le départ de Monceau-Lès-Leups le 31 août à l’aube, jusqu'à Paars le 1er septembre au soir, le régiment a parcouru 50 km avec deux heures de sommeil, quelques biscuits et du liquide pour toute nourriture.
Vers 23h le ravitaillement arrive enfin avec trois jours de provisions. Les cuisiniers s’affairent auprès des roulantes et préparent à la hâte un repas complet, aussitôt consommé avant de retomber dans le sommeil, mais non sans avoir rempli les musettes pour le lendemain.

- 2 septembre -

A 04h le régiment se remet en route. Il traverse Paars, franchit la Vesle à Bazoches et par Mont-Notre-Dame, Mareuil-en-Dôle, Sergy et Ronchère, arrive à Champvoisy à 18h après une marche de 32 km. Le village en partie abandonné  procure un bon cantonnement aux soldats.

Au cours de cette journée du 2 septembre, Von Kluck se rend compte qu’il ne pourra plus rejoindre l’armée anglaise qui s’est repliée sur la Marne entre Meaux et La Ferté-sous-Jouarre, mais il lui reste la possibilité d’attaquer le flanc de la V°armée et il pousse les IX° et III° CA en direction de Château-Thierry.
Ainsi s’amorce la conversion de la 1e Armée vers le sud-est...

- 3 septembre -

Le 57e quitte Champvoisy à 6h et par Vincelles gagne Dormans où il franchit la Marne sur un pont de bois du génie, en aval du pont de pierre saturé de troupes. Le passage prend beaucoup de temps car le pont est étroit puis le régiment se reforme à Chavenay et par la Chapelle-Monthodon arrive à Baulne-en-Brie où il fait une grand’halte avant de gagner Condé-en-Brie. Le 3e Bon s’installe à 1km au nord de la ville où le reste du régiment s’établit en cantonnement d’alerte. Etape de 22 km.

Le gouvernement quitte la capitale pour Bordeaux.

Le général Franchet d’Espèrey (cdt du 1er CA) remplace le général Lanrezac à la tête de la V° armée, et nous devons ici réserver au général sortant quelques lignes :

« C’est un grand professeur (de l’école de guerre), avec un peu de la vanité qui en est parfois l’apanage, mais aussi avec la crainte de s’être trompé après avoir affirmé. Homme de pensée plus que d’action, il est l’un des seuls qui, tout de suite, a vu clair dans le jeu allemand; toutefois, par ses incessantes récriminations, il se rend insupportable au G.Q.G. qui, en ces heures difficiles, n’admet que le garde-à-vous intellectuel ou la désobéissance qui réussit. Lanrezac manque de tenue, de tact et de compréhension à l'égard de French, auquel il réserve une ironie souvent malsonnante. (Quand French lui demande pourquoi les allemands sont sur la Sambre, il répond "Pour pêcher à la ligne, évidemment !"). Mais sans la montée sur la Sambre de la V°Armée, "arrachée" au G.Q.G., sans la retraite ordonnée à temps après Charleroi et les excellentes dispositions prises à Guise, le redressement ultérieur eut été impossible. Lanrezac qui en fut le principal artisan sera sacrifié le 3 septembre pour sa mésentente avec les anglais et ses discordes tapageuses avec le G.Q.G., bien plus que pour sa prétendue incompétence ! » (Larousse – T. I – 1968 – Gal Valluy)

On se souvient que Joffre avait ordonné à Lanrezac d’attaquer le flanc de la 1e armée Von Kluck, mais que c’est en fait la droite de la 2e armée Von Bulow qui se trouvait vers Saint-Quentin. Après l’échec de l’offensive, la V°armée avait du se retourner face au nord pour contrer avec succès une attaque de cette même 2e armée débouchant de Guise et Flavigny. Les ouvrages nomment cela « le redressement victorieux de Guise ». Mais pendant ce temps, la 1e armée avançait à marches forcées...
Dans la nuit du 2 au 3 la Direction Suprême (le G.Q.G. allemand) ordonne à Von Kluck (entérinant ainsi son initiative) de s’orienter au sud-est mais il n’était pas question de franchir la Marne. La 1e armée devait suivre la 2e en échelon, c’est à dire à droite et un peu en arrière, mais son IX°CA a déjà franchi la Marne et menace le 18e CA

Von Kuhl (Chef d’état-major de Von Kluck) :
« ... Il fallait par suite la refouler (La V° armée) vers le sud-est. Or seule la 1e armée était en état de le faire, car en admettant même qu’elle atteignît l’ennemi, la 2e armée ne pouvait le rencontrer que de front. Mais d’après l’ordre de la Direction Suprême, la 1e armée devait suivre la 2e en échelon. Pour cela il lui aurait fallu s’arrêter pendant 2 à 3 jours afin de laisser la 2e armée prendre les devants. Mais il aurait été dès lors impossible de refouler les français vers le sud-est et toute l’opération aurait été appelée à échouer.
Or le IX°CA avait déjà franchi la Marne dès le 3 de son propre mouvement et avait obligé l’aile gauche française à combattre. D’après le renseignement transmis par la 2e armée l’ennemi refluait en pleine dissolution. Est-ce que la 1e armée ne devait pas profiter de sa situation en échelon avancé ? Devions-nous négliger la dernière occasion d’atteindre l’ennemi, laisser échapper le prix de nos efforts indicibles ?
Mais en passant la Marne l’armée allait à l’encontre de la lettre de la Direction Suprême. Elle le savait parfaitement. Le flanc droit devait être couvert face à Paris par son propre échelonnement. C’était là une mesure qui pouvait être suffisante contre les forces ennemies battues sur la Somme et l’Avre. De la part des anglais il n’y avait guère à craindre d’offensive. Il restait encore néanmoins un danger dans le flanc droit. Nous en prîmes notre parti pour tendre vers un grand but qu’il nous semblait possible d’atteindre.
C’était une décision hardie que celle à laquelle le commandant de l’armée s’était décidé. Les dés étaient jetés, le Rubicon fut franchi. »

- 4 septembre -

A 03h30 le 57e quitte Condé-en-Brie et gagne une hauteur au sud de Montigny-lès-Condé. Avant de rejoindre le régiment, le 3e Bon a un accrochage avec des patrouilles de cavalerie allemande, des obus tombent sur Condé-en-Brie.
Le régiment participe avec la 38e DI à la protection de la retraite d’autres corps. A 17h il atteint Montmirail. A l’entrée de la ville de nombreux convois forment un immense embouteillage. Le 2e Bon est placé en protection à 1,5 km au nord-ouest avec pour mission d’y rester jusqu'à écoulement complet des troupes. Il arrête ainsi par son feu les allemands qui cherchent à progresser par l’ouest, subit des tirs d’obusiers, des harcèlements de cavalerie, puis reçoit l’ordre de repli sur Montmirail. Les rues sont encore encombrées de troupes, de civils en fuite, des obus tombent sur la ville, les gens crient, les chevaux se cabrent, c’est la bousculade et la panique particulièrement à la sortie, au pont du Petit Morin.

Von Kuhl : « A la 1e armée, le IX°CA continua au cours de la journée du 4 septembre à rejeter l’ennemi en direction de Montmirail. Cette localité était encore en fin de journée aux mains de l’ennemi. Celui-ci opposait une résistance opiniâtre. Le commandement du corps d’armée n’avait pas l’impression d’avoir devant lui un ennemi en fuite. On n’avait aucun indice d’une retraite désordonnée, tels que fusils jetés, canons et voitures abandonnés. »

Le 2e Bon atteint à la nuit Tréfols où se reforme le régiment. La troupe s’installe au bivouac, et vers minuit le ravitaillement arrive avec du pain et des boites de conserve.

Le régiment a eu 11 tués et 7 disparus, 27 blessés, 2 prisonniers. Il a parcouru 30 km.

une famille inquiète dans Sur Le Vif du 25 mars 1915... Un béarnais, basque d'adoption, nommé Gascon et prénommé Aquiline par la famille. Il s'agit bien de Laurent, mort des suites de ses blessures le 4 septembre à l'hôpital temporaire de Laon. Blessé et prisonnier je ne sais où car il ne figure pas dans les états nominatifs des pertes, mais vraisemblablement entre  le 30 août et le 2 septembre vu le parcours du régiment.

Le général Marjoulet remplace à la tête de la 35e DI le général Excelmans (blessé) .

Couraud ne parle jamais bien entendu de désertion et de rapine dans son ouvrage tout à la gloire du régiment. Nous ignorons si des soldats du 57e RI s’en sont rendus coupables, mais des délits ont bien été commis ici ou là, car le 1er septembre Joffre s’adresse aux commandants des armées :
« Je suis informé qu’en arrière des armées des militaires en bandes ont commis des actes de pillage, accompagnés de violence envers les personnes.....(textes).....Vous n’hésiterez donc pas le cas échéant, en vous inspirant des textes qui précèdent, à prendre les mesures les plus énergiques pour faire pourchasser les soldats qui se débandent et se livrent au pillage et pour forcer leur obéissance. »
Cette note est reprise aussitôt par tous les destinataires, ainsi le 4 septembre, De Mas-Latrie, commandant le 18e CA ordonne de « placer en arrière des lignes de l’infanterie des détachements de police chargés d’arrêter coûte que coûte les fuyards, au besoin de les fusiller ».

 V°Armée

4 septembre, midi 30

 Ordre général
......................
Le 18e CA se portera dans la région Voulton, Lugrand, St-Brice, Cormeron, Boolot.
Arrière-gardes sur la ligne Le Plessis-Poil-de-Chien, Courchamp, Château de Faix.
Zone de marche et de stationnement.................................
Commencement du mouvement 18e CA, minuit.
Q.G. 18e CA St-Martin-des-Champs à 8h.

......................

         d'Espérey

On pourra voir ICI (utiliser le zoom) ce qu'étaient en détails ces ordres généraux, ceux que je cite depuis le début n'étant bien entendu que des extraits concernant le 18ème CA. Modèles d'organisation sans laquelle une retraite devient un grand embouteillage et une déroute, ces ordres donnés par un général d'armée sont repris pour ce qui les concernent par les généraux de corps d'armée, qui à leur tour rédigent aussitôt les leurs à l'attention des généraux de divisions qui fixent enfin les itinéraires de déplacements et les zones de stationnements des régiments de leurs brigades.
Et Raymond dans tout ça ? Il va encore marcher.

 - 5 septembre -

A peine installé au bivouac à Tréfols, le 57e doit se remettre en route. Il part à 1h30 et par Le Vézier passe le Grand Morin à Villeneuve-la-Lionne, puis c’est à nouveau la route au sud. Avant Sancy, le régiment s’arrête pour laisser s’écouler la cavalerie du général Conneau qui se dirige vers l’ouest pour tenter d’occuper une brêche entre les anglais et la V°Armée.

Le 4 septembre, Von Kluck, malgré ses craintes, avait décidé de pousser encore une journée vers le sud-est pour tenter une dernière fois d’intercepter la V°armée. Il devait au fur et à mesure de son avance laisser des troupes de couverture sur son flanc droit face à Paris. Le matin de ce 5 septembre, il reçoit un radio de la Direction Suprême, expédié le 4 au soir, à son Q.G. de la Ferté-Milon : La 1e armée devait rester entre Oise et Marne face au front de Paris, la 2e entre Seine et Marne.

Von Kuhl : « La 1e armée était obligée de lâcher l’ennemi, tous ses efforts avaient été vains. Nous ne pouvions pas « rester » entre Oise et Marne, nous ne pouvions qu’y retourner... »

Le plan Schlieffen rejoint aux archives le plan XVII.

Après Sancy le 57reprend sa marche et arrive à Flaix (5 km au S.O. de Villiers-St-Georges) après une étape de 25 km. Une activité inhabituelle règne dans cette zone; la troupe effectue des travaux de défense, le génie organise le château en centre de résistance, l’artillerie place ses canons. Tout semble indiquer qu’on n’a pas l’intention de descendre plus bas. Et puis les sections sont rassemblées. Raymond et ses camarades écoutent les officiers qui disent que demain on va attaquer, que toute l’armée va attaquer, qu’on va refouler l’ennemi, et encore marcher mais vers le nord désormais. Ils disent aussi qu’il faut en donner un grand coup, même si on est fatigués, et que c’est pour sauver la France.

Le colonel Dapoigny est évacué malade, le lieutenant-colonel Debeugny prend le commandement du régiment.
Le général De Maud’huy remplace le général De Mas-Latrie à la tête du 18e CA.

En deux semaines, du 23 août au 5 septembre, le régiment a parcouru 309 km, distance mesurée sur des cartes Michelin en suivant les itinéraires cités par Couraud.
Le 6 septembre, la marche reprend mais vers le nord cette fois, et puis le 13, arrivés au « terminus » du Chemin des Dames, là où l’ennemi va se retrancher et où l'on n’avancera plus, 130 km auront encore été parcourus. En comptant les marches en Lorraine lors de la concentration, puis en Belgique, la retraite de la Sambre à la Seine, et la remontée jusqu'à l'Aisne, 584 km auront été parcourus en 5 semaines et dans les conditions que l'on sait. (Voir le tableau des marches).
Citons à nouveau Lanrezac: "Du 1er au 5 septembre la Vème armée pour échapper à l'étreinte de l'ennemi qui la déborde sur sa gauche est obligée de retraiter jour et nuit pendant que ses arrières gardes luttent du matin au soir contre les avants gardes allemandes. Les difficultés de marche surpassent celles de la période précédente déjà si grandes. La chaleur reste accablante. Le réseau routier se prête mal au mouvement à exécuter. Les itinéraires permettant d'aller vers le sud, en nombre restreint, font d'inombrables détours, une distance mesurée à vol d'oiseau correspond souvent à un parcours effectif double, d'autant plus fatigant qu'on y trouve à tout instant des montées et des descentes forts rudes.
Je ne crois pas qu'il y ait eu jamais une armée qui ait subi une situation plus pénible que celle de la Vème armée dans la période du 30 août au 4 septembre".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

12 mai 2006

DE "LA FOLIE" A "LA DESOLATION"

Après la ferme de La Folie à Lobbes, celle de La Désolation à Guise

- 28 août -

Dès le matin le 18e CAcommence ses mouvements pour se mettre en place entre Origny-Ste-Benoîte et Ribemont, en vue de l’offensive du 29.

 

La 35e DIqui va marcher en flanc-garde droite du CA se met en route à partir de 06h et comprend dans l’ordre : 11ème Bde (24ème et 28ème RI, rattachée à la 35ème DI depuis le 24 août), le 24e RAC et le 57ème RI, le 144ème restant pour le moment sur ses emplacements. La 69e Bde (6ème et 123ème RI) est à disposition du 3ème CA depuis le 23 août.

Carte de la région (mise à jour en 1908 - L'image peut-être un peu plus agrandie tout en conservant sa netteté, utiliser le zoom)
Carte des mouvements effectués par le 57ème RI du 27 au 29 août.

De La Vallée-au-Blé, par Lemé et Sains-Richaumont, le 57 arrive à Le Hérie-La-Viéville où il s’arrête pour laisser passer la 69e DR qui se porte plus au sud. Cette division de réserve a laissé à la garde des ponts de Guise et de Flavigny un bataillon du 228ème RI, un du 229ème et un escadron du 27ème Dragons. Au cours de cet arrêt le général Excelmans, commandant la 35e DI, est prévenu vers midi que le bataillon de Guise (du 228) a été rejeté et que de fortes colonnes débouchent sur la rive gauche de l’Oise. Le flanc du corps d'armée est menacé. Excelmans prend immédiatement l’initiative d’envoyer 2 groupes du 24e RAC (12 canons de 75) qui viennent se placer à 3 km au nord de Le Hérie-La-Viéville et commencent aussitôt à tirer sur des troupes qui s’avancent vers La Désolation, Audigny et l’Etang.
Vers 15h, l’artillerie lourde allemande réduit au silence les 75 français.
Le 24ème RI est dirigé sur Flavigny le Grand, le 28ème sur le bois de Bertaignemont et le 57ème est envoyé vers Guise.
Le régiment avance à gauche de la route, 1er et 2e Bonen tête, suivis du 3ème, de la CHR, et enfin des 3 sections de mitrailleuses (toujours derrière…). Quelques obus de 105 tombent aux alentours. Le 1er Bon traverse la route et se dirige sur Audigny pendant que le 2e continue son approche et déloge quelques éléments avancés ennemis de la ferme de La Désolation.

La Désolation... Certains sont loin d'imaginer que le sol qu'ils foulent ici de leur chaussures à clous les accueillera, après la guerre, dans un grand cimetière militaire, quand les croix de pierre auront remplacé les croix de bois.

L’infanterie allemande en position au sud de Guise commence alors le feu et les compagnies de tête du 2e Bon subissent des pertes. La marche continue, mais bientôt le tir devient très violent. Fusils, mitrailleuses et canons clouent la troupe sur place. Plusieurs coups de 105 atteignent le périmètre où les sections sont aplaties dans l’herbe, il y a des morts, de nombreux blessés mais on ne peut plus bouger car les balles sifflent au dessus des têtes.
Un groupe du 24ème RAC est amené à proximité, et bien que pris à partie aussitôt par l’artillerie lourde adverse, tire sur les positions de mitrailleuses ennemies. Profitant d’un répit, tout le 2e Bon effectue un tir rapide, couvrant ainsi pour un instant, avant de les suivre, le 3ème et la CHR qui se lancent à l'assaut, drapeau déployé, au son de la marseillaise jouée par la musique du régiment.
Drapeau déployé... Ce vendredi 28 août, c'est comme à Lobbes dimanche dernier. Le son de la musique en plus, et du canon aussi...
Alors, de Guise, de Flavigny, de la route de Rouen, se déclenche un feu d’une grande violence sur les sections de tête. Les morts et les blessés jonchent le sol, la course en avant continue, les allemands se replient sur Guise mais la charge est définitivement brisée à cent mètres des premières maisons de la ville.
Mais où étaient donc les mitrailleuses ? Elles étaient en queue du régiment lors de la marche d’approche (voir plus haut), et elles n'ont pas été utilisées. Il faut dire que le drapeau n'a pas été en danger d'être pris comme à Lobbes, sinon...
Sur la droite, le 24ème et le 1er Bon du 57 contiennent difficilement l’ennemi qui tente de franchir le pont de Flavigny.
Dans la soirée, l’ordre de rompre le combat est donné à la 35ème DI et le 3ème CA va la remplacer au sud de Guise. Le décrochage sous le feu ennemi est lent et difficile, mais la nuit vient enfin permettre le repli, laissant le champ de bataille aux brancardiers.

Raymond : « ...Guise...Un obus...Camarade tué juste à côté de moi... ».
JMO: Le 2ème bataillon se trouve en première ligne après avoir traversé la crète (?) sous un violent feu d'artillerie. Il va aborder l'ennemi mais une terrible fusillade l'arrête et le cloue au sol.
Sur ce tableau des pertes selon l'état nominatif de 1914 sur lequel la 7ème Cie a eu 1 disparu (tué) à Guise, le sergent Legrand et c'est tout pour ses pertes, aucun blessé ni prisonnier. Ou bien un certain nombre de morts sont-ils parmi les 44 points d'interrogation au bas du tableau ?

121 fiches de tués à Guise ou morts des suites de leurs blessures ont été trouvées sur le site MDH, soit 16 de plus que les chiffres de Couraud dont le livre date de 1925. (4 officiers tués, 12 blessés. 57 hommes de troupe tués, 44 disparus, 219 blessés et 36 prisonniers. Soit un total de 105 tués et disparus).

Parmi les nombreux blessés, le capitaine De Saint-Martin Lacaze (Saint-Cyrien, promotion Marchand) qui commande le 2e Bon depuis la blessure du commandant Lagüe à Lobbes. Grièvement atteint, il remet son commandement au lieutenant Couraud, se fait hisser sur un cheval d'artillerie, puis rejoint le colonel et lui rend compte de la situation. Il meurt quelques heures plus tard au poste de secours de Le Hérie-la-Viéville.

Citons également le sous-lieutenant Souabaut, 8ème Cie (Saint-Cyrien, promotion Montmirail).

Depuis 6 jours, le régiment a perdu près du quart de son effectif.
Le 2e Bon, le plus éprouvé, réduit à 425 hommes, est reformé à deux compagnies: Cie Pougnet (5ème et 8ème), Cie Chevallier (6ème et 7ème). 425 sur 1000 au départ... Des visages connus de Raymond, des camarades, ne sont déjà plus là. Et cela ne fait que commencer.

- Nécropole nationale de LA DESOLATION -
guise3

- 29 août -

Le 57e RI arrive à Parpeville à 02h. Depuis le départ de la Vallée-au-Blé le 28 à 06h, avec l’aller-retour de Guise, et jusqu'à Parpeville, 32 km ont été parcourus, s’ajoutant à la fatigue due au combat.

            29 août, 9h20
          
Vallonnement entre Parpeville et fermes Torcy
           Général 35e DI à Général 18e CA

La 35e DI est établie en rassemblement articulé par brigades accolées ayant leur tête près du chemin de Pleine-Selve à Villancet fermes, au sud des cotes 145 et 147.
70e Bde à droite, 11e à gauche.
57e et 24e en tête, 144e et 28e en queue.
L’ A.D. 35 au N du chemin de fer de Parpeville à Pleine-Selve, au delà du passage en dessous NO Parpeville (chemin à un trait).
Cie génie près du boqueteau immédiatement au N de Parpeville et de la voie ferrée.
L’escadron réduit encore à 2 pelotons, aux fermes Villancet et Torcy.
Les unités d’infanterie sont constituées, les batteries au complet en matériel sauf 2 caissons.
Les distributions de vivres sont en train de s’achever.
Le réapprovisionnement en munitions se terminera très facilement avant 11h.
La soupe et le café se font.
Mon poste de commandement est à côté de l’artillerie.

Excelmans

La 35e DI se trouve donc en réserve du corps d’armée autour de Parpeville. L’offensive vers Saint-Quentin est menée par le 18e CA à gauche (privé de la 35e DI), et le 3e CA à droite. Le 1e CA est en réserve derrière le 3e. Le flanc nord est tenu par le 10e CA, la 4e DC et la 51e DR de Guise à Vervins.
La 35e DI,réduite à la 70e Bde et au 24e RAC se rassemble vers 07h puis se dirige sur Ribemont.

Dans la matinée le X°CA et la Garde attaquent en partant de Guise et de Flavigny. Le 3e CA doit interrompre son avance vers l’ouest et orienter une partie de ses forces face au nord, découvrant quelque peu le flanc droit du 18e CA. La 35e DI se porte en soutien vers le nord de Pleine-Selve.

L’offensive du 18e CA échoue devant Saint-Quentin face au X°CR et il repasse sur la rive gauche de l’Oise.

A 21h le 57e retourne à Parpeville.

L’armée britannique est en pleine retraite entre Noyon et La Fère et la défaite du 18e CA découvre la gauche de la V°armée qui doit maintenant faire face à l’attaque venu du nord.

 Paris, 29 août, 19h
Bulletin de renseignement N°56
V°Armée

15h30. La gauche de la V°Armée qui a attaqué dans la direction de St-Quentin est refoulée vers l’Oise.
Le reste de l’armée fait face à une attaque très violente débouchant de Guise et à l’est, comprenant le X° Corps et la Garde.
A 16h30 cette offensive ennemie était enrayée et allait être contre-attaquée.

Ainsi, les combats menés par le 57e RI et la 11e Bde le 28 août se renouvellent à grande échelle les 29 et 30 et Lanrezac rejette sur l’Oise la gauche de Von Bulow.

Une polémique naîtra dans les états-majors, vite étouffée par la suite des événements, sur l’initiative du général Excelmans le 28 août. En effet, la 35e DI éprouvée et retardée, n’a pu participer à l’offensive du 18e CA sur St-Quentin. Le général Lanrezac a répondu :
« L’ennemi, maître de Guise, ayant tenté d’escalader les hauteurs au sud, il en était résulté un vif émoi parmi les diverses fractions de nos troupes qui défilaient à portée et notamment dans la division Excelmans du 18e Corps. Cette division, entre 11h et midi, s’était arrêtée et déployée. Les allemands ayant été refoulés sur Guise, et le 3e Corps étant arrivé sur ces entrefaites, la division s’est remise en marche, mais si tard, qu’elle ne peut atteindre ses cantonnements qu’à une heure avancée de la nuit.
Il était fâcheux que la division Excelmans se fut arrêtée à hauteur de Guise, mais je me garde bien de blâmer son chef vu que je n’ai pas les éléments d’appréciation nécessaires pour formuler un jugement en connaissance de cause. Je suis même tenté de croire que le général Excelmans s’est conduit comme l’exigeaient les circonstances. »

Général Palat - La retraite sur la Seine : « La 35e DI avait empêché l’ennemi de déboucher de Guise ».

Général Von Kuhl - La campagne de La Marne en 1914 : « ...L’aile gauche de la 2e armée (X°CA et la Garde) reçut l’ordre de franchir l’Oise. Les forces ennemies établies au sud de la rivière ne semblaient être que peu importantes. On reçut cependant dans la soirée (du 28) un renseignement disant que l’on combattait encore pour les passages de la rivière. On estima que c’était des combats d’arrière-gardes ».

 - 30 août -

Après avoir cantonné à Parpeville, la 35e DI s’établit à 06h au nord de Pleine-Selve. Vers 14h le village et les environs sont sérieusement bombardés par de l’artillerie lourde dont les tirs sont réglés par un avion. Sans avoir à combattre, le 57e perd encore 29 hommes dont 15 tués.
Les unités du régiment sont éparpillées, appelées ici ou là pour des missions de soutien, creusement de trous idividuels, attente, coups de fusils contre des uhlans, ordres et contre-ordres, et recevant l’ordre de retraite, la marche reprend. Le 2e Bon gagne Monceau-Lès-Leups où il bivouaque (15 km), le 1e à Catillon-du-Temple, le 3e n’arrivera à Chevresis-Les-Dames que le 31 à 5h du matin.

Que les spécialistes me pardonnent, mais il m'a semblé, au fil de mes lectures passées (des années 80) que cette bataille de Guise fut un coup d'épée dans l'eau de l'Oise... Une relecture de Lanrezac s'impose, et je corrigerai ici plus tard mon sentiment si besoin est. En effet, selon "l'Histoire", Guise fut un "coup d'arrêt" à l'avance ennemie. Ah bon ?... Pendant ce temps, la 1ère armée Von Kluck avançait au large de Saint-Quentin... La 2ème Von Bulow ? Une victoire à St Quentin et la réoccupation immédiate du terrain perdu à Guise. Car la retraite continue... Alors quoi ? Ordre insensé du généralissime Joffre ? (qui n'en est plus à son premier). Ce débat dépasse mon sujet, Raymond Labarbe et ses camarades s'en moquent. Ils vont encore marcher, laissant derrière eux leurs morts, blessés ou prisonniers, comme tous les régiments de la Vème Armée dont certains ont payé un très lourd tribu pour ce "coup d'arrêt"... Tout au plus, il a pu inquiéter l'ennemi qui a constaté que l'armée française en retraite n'est pas en déroute, et qu'elle est encore capable de retournements offensifs d'envergure. Faible consolation au prix fort...


Les carnets de route du sergent Dartigues: (pdf 1 Mo). Du 24 au 30 août.
Le cahier de Constant Vincent - 7ème Cie : (100 Ko word). Du 24 août au 5 septembre. (Où il se confirme que ce très lointain souvenir d'un récit de Raymond:  "...Un obus... Camarade tué à côté de moi...", ce n'était pas à Guise...)


Les familles inquiètes de disparus à Guise (utiliser le zoom)

(Journal Sur Le Vif, le sujet a été évoqué au chapitre 05 - Le baptême à Lobbes)

                             GAILLARD           N° 8 du 2 janvier 1915     mort depuis 4 mois
BERTIN              N° 20 du 27 mars 1915                     
HOSTEIN            N° 24 du 24 avril 1915
FERIOL               N° 26 du 8 mai 1915       
RAYMOND           N° 31 du 12 juin 1915
COIFFARD           N° 35 du 10 juillet 1915
GALLIN-MARTEL   N° 36 du 17 juillet 1915
TINTIGNAC          N° 42 du 28 août 1915    un an jour pour jour…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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11 mai 2006

DE LA SAMBRE A L'OISE

marche1

- 24 août -

Au lever du jour le 1er Bon et une batterie du 24ème RAC sont déployés pour couvrir le repli du régiment.  Couraud : « Vers 8h, les Allemands essaient de déboucher du bois Janot, refoulés par les feux nourris de la 3ème Cie, ils ne renouvellent pas leur tentative, mais leur artillerie fait preuve d’une grande activité et cause quelques pertes. »

La retraite de la V° armée commence…

De Beaumont, quittant le sol belge, le 2e Bon gagne Cousolre, 6 km à l’ouest, où se reforme le régiment dans l’après-midi. Mais alors que la troupe se prépare pour le cantonnement, l’ordre de partir arrive. A 22h le régiment est prêt et reprend la marche vers Solre-Le-Château, direction sud.
Raymond et ses camarades ne savent pas qu’ils sont en train de commencer « un repli stratégique, un des plus beaux faits de l’histoire militaire » écrira plus tard Couraud qui s’arrangera comme il pourra en ajoutant « le mot de notre vaillant et habile capitaine de Gascogne Blaise de Montluc : Il n’y a pas moins d’honneur de faire une belle retraite que d’aller au combat ».
Pour l’heure, tout le monde ignore, de Raymond Labarbe à Joseph Joffre, que ce sera effectivement une « belle retraite ».

- 25 août -

L’Autriche déclare la guerre au Japon.

La garnison de Maubeuge, isolée par la retraite des anglais et de la V° armée, se prépare à une résistance héroïque. La quasi-totalité de la population a été évacuée. En l’absence d’instructions, le gouverneur de la place avait demandé le 24 août à Lanrezac s’il devait se joindre à la retraite ou résister. Les six forts dont un seul est bétonné étaient conçus pour s’opposer à des troupes de campagne mais non à un siège. Bien qu’ayant visité les ouvrages deux mois auparavant et connaissant leur extrême faiblesse, le chef de la V° armée répondit au gouverneur qu’il devait résister. Le colombier de Paris disposait de 90 pigeons à destination de Maubeuge, mais le gouverneur ne reçut aucune instruction. Les 48 000 hommes de la place et les 450 canons allaient être perdus, de toute évidence. Mais, dépassant certainement toutes les espérances de Lanrezac qui, au demeurant, avait d’autres soucis que Maubeuge, la résistance va durer jusqu’au 7 septembre à 18h, et grâce à un peu de temps gagné en négociations, la place ne sera remise que le 8 en soirée, après 15 jours de siège.
Durant cette période, un corps d’armée allemand (VII°CR), 1 division de réserve de la Garde, 2 régiments de cavalerie, des troupes d’artillerie, de génie et de landwehr avaient été immobilisés, soit un total évalué à 55 000 hommes. (L’aile marchante allemande s’affaiblit encore…)
Pour l’heure, l’artillerie lourde et les gros obusiers Krupp commencent leur œuvre de démolition.

Après avoir traversé Solre-Le-Château encombré de convois et de civils en fuite, le 57e RI qui est arrière-garde de la 35ème DI, s’arrête à l’aube au carrefour de l’Epine. Des colonnes allemandes ayant été signalées se dirigeant vers la ville, la 70e Bde se déploie et le régiment occupe Felleries. L’attaque ennemie n’ayant pas lieu, vers 17h il est déplacé un peu plus à l’ouest, à Baslieu, Guerzignies et Waudrechies, cette dernière localité est occupée par le 2e Bon. Les issues du village sont barricadées à l’aide de charrettes, de fûts, de meubles de toutes sortes.

Raymond : « Sur la route...Des uhlans....pan, pan, pan,,....Tout le monde les quatre fers en l’air.... ». (Les uhlans, qu'il prononçait "Hulans" avec un un grand "H" expiré).

Couraud : « En avant du village des petits postes surveillent la route. Un groupe de uhlans en reconnaissance approche du village avec hésitation. A 100 mètres l’escouade ouvre le feu, des cavaliers tombent, désarçonnés et s’enfuient, d’autres gisent à terre, le reste repart au galop. Cinq chevaux avec armes et équipements sont récupérés. »

Les trains régimentaires attendus n’arrivent pas, retardés ou égarés dans quelque colonne en retraite, et les vivres manquent. La troupe se contente d’un peu de pain, mais des paysans-soldats repèrent quelques fermes abandonnées et ramènent de quoi agrémenter les maigres rations.
26 km ont été parcourus depuis le départ de Cousolre, les hommes n’ont dormi au total que quelques heures en deux jours et les granges de Waudrechies leur procurent un gîte béni.

La situation des armées françaises est devenue en quelques jours dramatique et le spectre de 1870 se lève à l’horizon. Le plan XVII est un échec et sa place est désormais aux archives. Le 25 août, Joffre élabore une nouvelle stratégie consistant pour les armées III, IV et V à reculer liées les unes aux autres en disposant de fortes arrière-gardes pour retarder au mieux l’ennemi. Ce mouvement ayant pour pivot la région de Verdun, devra porter les trois armées sur une ligne Peronne - Rethel d’où l’on repartira pour une offensive... Afin de soutenir sa gauche menacée, il constitue une VI° armée (Maunoury) en prélevant des troupes sur l’aile droite et il la place vers Amiens.

V°Armée

25 août, 15h
Ordre général pour la journée du 26
Le mouvement commencera à 05h.
.................
Le 18e CA aura ses gros dans la région Barzy, Le Nouvion, sa gauche à Beaurepaire, sa droite à la lisière est de la forêt du Nouvion. Il se tiendra prêt à attaquer l’ennemi sur son front.
Q.G. 18e CA au Nouvion à partir de 16h.

..................

Lanrezac

 - 26 août -

A 5h le régiment est prêt à faire mouvement et constitue toujours l’arrière-garde de la division. Il traverse difficilement Avesnes-sur-Helpe dont les rues sont pleines de réfugiés en route vers le sud, comme s’ils suivaient eux aussi, au jour le jour, les directives de marche d’un général. Devant l’avance ennemie, une partie de la population se jette sur les routes, les convois se mêlent aux colonnes de troupes, gênant souvent leur marche, cherchant l’abri rassurant de l’infanterie.

Pour la V°armée il n’est plus question d’attendre l’ennemi au coin du bois comme prévu dans la directive du 24 août. Il faut marcher maintenant, et vite, talonné par la 2e armée Von Bulow dont la droite cherche à déborder la gauche de Lanrezac où se trouve le 18e CA.

A la sortie d’Avesnes on signale une menace d’attaque par l’ouest. Le 57 suit sur 2 km la route de Paris puis oblique à droite, et par le carrefour du Cheval Blanc où le 3e Bon reste en surveillance, gagne Boulogne-sur-Helpe (1e Bon) et Rouge Croix (2e Bon). A 11h30 quelques obus tombent sur la zone du 1er Bon et un peu plus à l’est un de ses postes est accroché par des cavaliers allemands. Un tué (Sicher, le premier de la retraite du 57) et deux prisonniers. Nous voyons déjà, et il en sera toujours ainsi durant la retraite, que l'ennemi colle au plus près. Mais il faut bien dormir un peu, dans chaque camp, les attaques en masse et de nuit sont impossibles, alors on dort, ils dorment aussi... Mais pas longtemps. Il fait jour très tôt l'été... Et nuit très tard...

Extrait du Journal de Santé du régiment: ... A Boulogne (Nord), alerte. 4 obus tombent sur le village qu'on évacue au plus vite. Ces obus ont tué un homme de la CHR (Sicher) et blessé plusieurs civils dont plusieurs femmes. Le médecin aide-major Tronyo réquisitionne une petite voiture attelée d'un poney, voiture légère qui sert à transporter malades et blessés.

Vers 13h, le régiment se porte plus à l’ouest sur la ligne Buisson Moreau, Le Défriché, toujours face à l’ouest et au nord-ouest se préparant à une attaque.
A 16h fin de l’alerte et la marche reprend, bientôt suivi d’un autre arrêt avant Beaurepaire. Les hommes consomment quelques vivres de réserve et à 22h30 repartent en direction du sud. La marche est sans cesse arrêtée par des rencontres avec d’autres unités, avec des convois, énormes bouchons de troupes en pleine nuit.

- 27 août -

Il faut au régiment trois heures pour parcourir les 5 km qui séparent Beaurepaire du Nouvion-en-Thiérache où l'on doit s’arrêter de 02h à 04h pour laisser s’écouler d’autres unités. Les hommes mettent à profit cette halte bienvenue pour dormir comme ils le peuvent, sur les pavés. Puis c’est la reprise du mouvement, Leschelle, Chigny, et encore des ralentissements, des arrêts, avant de franchir le pont sur l’Oise, et la marche continue sous une pluie d’orage, jusqu'à ce qu’apparaissent enfin, vers 16h, les lisières nord de La Vallée-au- Blé.
42 km ont été parcourus depuis le matin du 26, avec deux heures de sommeil.
A 19h le régiment est installé en cantonnements et bivouacs à La Vallée-au-Blé. La troupe est harassée de fatigue, nombreux sont ceux qui souffrent des pieds et le calvaire ne fait que commencer. A 23h le ravitaillement arrive enfin et les hommes peuvent manger pour la première fois de la journée.
A 04 h, tout le monde debout. Les nuits sont courtes au mois d’août… Une petite pensée au passage pour les sentinelles, puisqu’il faut bien veiller au grain. L’ennemi est là, tout près, il faut bien qu’il dorme lui aussi, mais sait-on jamais… Relevés toutes les heures, ces veilleurs n’en ont pas moins leur courte nuit diminuée.      

V°Armée

27 août, 20h
Ordre général pour le 28

.....................
18e CA : Zone de stationnement :
Eléments combattants : zone Villers-le-Sec, Pleine Selve, fermes Torcy, Monceau-le-Neuf, La Ferté Chevresis.
Q.G. à Chevresis-Monceau.
Itinéraires à utiliser : Route incluse Chigny, Le Sourd, Sains, Monceau-le-Neuf, et route incluse Autreppe, Haution, La Vallée-au-Blé, Les Bouleaux, Chevennes, Housset, Sons, Bois-lès-Pargny, Montigny-sur-Crécy, La Ferté Chevresis.
.......................
Lanrezac

Dans tous les ordres généraux concernant les itinéraires à suivre, on remarquera les termes « route incluse » ou « exclue ». Il faut imaginer ce que fût l’organisation et l’exécution de la retraite de tous ces corps d’armée accolés. Chacun devait occuper pour sa marche un « couloir », délimité par des routes. « Route incluse » signifie que sur un côté de ce couloir la troupe peut emprunter la route, mais ne pas déborder au-delà, sur la zone de marche affectée à un autre CA. Inversement, « route exclue », dans les champs oui, mais pas sur la route...

Le 26 août, les anglais ont été malmenés au Cateau, et le général French accélère son repli vers le sud. Les divisions territoriales du général d’Amade et le corps de cavalerie Sordet qui marchaient à gauche des anglais durent s’éparpiller entre Somme et Seine après avoir été disloqués vers Cambrai par la 1e armée Von Kluck qui se lance direction sud - sud-ouest, et il semble que plus rien ne peut désormais l’inquiéter.
Le 27, Joffre demande à Lanrezac dont l’armée se trouve entre Oise et Serre d’attaquer le flanc gauche de Von Kluck. Le chef de la V°A hésite à opérer cette conversion, vaste manoeuvre des corps d’armée qui, faisant route au sud doivent s’orienter face à l’ouest, s’échelonner, protéger leurs flancs, se re-disposer les uns par rapport aux autres, organisation militaire dépendant du réseau routier, de la topographie, et le profane a du mal à saisir toutes la difficulté de l’opération.
Von Bulow, craignant de perdre la liaison avec Von Kluck pousse son aile droite un peu plus à l’ouest sur la rive droite de l’Oise, laissant devant Guise son X° CA et la Garde. C’est donc la 2ème armée que va affronter Lanrezac et non la 1ère.

Ce 27 août au Nouvion-en-Thiérache (Aisne) des combats ont eu lieu entre le 1er bataillon et des éléments d'avant garde allemande. Dans le JMO il n'est pas signalé de pertes, comme bien entendu dans le livre de Couraud de 1925. "le commandant Picot, sans s'être laissé accrocher et sans avoir éprouvé la moindre perte"...Fiches MDH: EYRAU Pierre et ROBIER Fernand, tués au Nouvion le 27 août. Fernand le 26 c'est une erreur et il est caporal. Voici une plaque sur une place portant son nom au Nouvion-en-Thiérache. Caporal-Clairon.

Robier_blog

ROBIER

Merci à Daniel Lefèvre (de Camelin dans l'Aisne mais né au Nouvion) pour les photos. Ayant découvert mon blog il a eu la sympathique initiative de me les envoyer. Merci à Gilles Deschamps du Forum Pages 14-18 pour le portrait ajouté. Merci à Mr Gauchet du groupe d'histoire locale du Nouvion qui m'a envoyé un fichier à voir ICI.
Fernand ROBIER n'est donc pas mort le 27 août, sur la fiche MDH il s'agit d'un jugement déclaratif de 1920, encore un "disparu" déclaré "tué à l'ennemi". Ce jour là il a été blessé par une balle qui lui a traversé le corps. Il a été soigné par des habitants du Nouvion qui étaient réunis en comité de Croix Rouge. Il était complètement paralysé et il est mort le 19 septembre. Une personne de la ville a tenu un journal durant la guerre et a mentionné cela. Les seuls combats au Nouvion en 1914 s'étant déroulés le 27 août et ayant concerné le 57ème RI, je suppose que les soins apportés à ROBIER durant trois semaines, le seul blessé français recueilli de cette journée et décédé, sont à l'origine de cet hommage, la place portant son nom ainsi que la plaque commémorative.
Quant à son camarade EYRAU, il est dans un premier temps resté près de lui, mais il a du partir et a été abattu dans un champ alors qu'il tentait de rejoindre son régiment.

1 mai 2006

CA S'EST PASSE PRES DE "LA FOLIE"

La ferme de La Folie, la bien nommée ce jour là…

 La 7e Cie va s’élancer la première, conduite par le capitaine Constans. Parmi les camarades de Raymond, il y a le soldat Guiraut. Voici une lettre qu'il a reçue le jour du départ et qui contenait des encouragements mais aussi des conseils émouvants quand on connaît la suite. Elle a été trouvée sur lui, par des belges venus relever les corps, conservée pieusement elle a été restituée après guerre, et publiée par le journal de l'amicale du 57ème R.I. Le texte est très représentatif du patriotisme ardent de 1914, partagé par des milieux sociaux très différents. Il s'agit visiblement ici d'une famille bordelaise aisée. Tout y est: Le frère qui, bien que réformé, veut s'engager avec son auto, la soeur (?) infirmière d'hôpital que la mère veut rejoindre, et le père ancien militaire, qui regrette que son âge ne lui permette pas de reprendre les armes.

GUIRAUT

 "...je te le répète, que la balle est aveugle et qu'elle atteint aussi bien celui qui retourne vers l'arrière que celui qui marche de l'avant." Arrivé dans le sous-bois d'où partent des tirs de mitrailleuses, le soldat Guiraut n'ira ni de l'avant ni vers l'arrière, il sera tué sur place.

Morceaux choisis de citations d'actes de bravoure (ou de folie) extraites du livre de Couraud, qui regrette d'en pouvoir citer seulement quelques-uns:

"Les soldats Guiraut, boute en train de son escouade qui le matin même en plaisantant a numéroté "ses abatis" à la craie, Guillot et Léotey, de la 7ème Cie, luttent désespérement pour empêcher le corps du capitaine Constans de rester aux mains des allemands; genou en terre, ils tirent sans répit; blessés, ils continuent leur feu jusqu'à ce que les balles ennemies les couchent sur le corps de leur chef."
Leurs fiches sont réunies ici

« Le lieutenant Delitat, de la 5ème Cie, s’élance à la tête de sa section à l’attaque de l’ennemi, repousse les éléments avancés et les poursuit pendant près de deux cents mètres. Rencontrant de nouvelles unités, se précipite sur elles, entraînant ses hommes par son intrépidité, son courage calme et résolu; il abat de son révolver 3 Allemands dont 1 officier et tombe à son tour frappé à mort. »
Bien entendu qu'il ne devait que tomber frappé à mort le brave lieutenant Delitat... Couraud écrit, quelques pages avant celle des citations, "Sur ce point les Allemands sont en nombre", et "des unités nouvelles montent sans cesse des bas-fonds de la Sambre sur le plateau de Heuleu."
Delitat (et le sous-lieutenant Duclos noté lieutenant sur sa fiche), ainsi que les soldats qu'ils menaient à l'attaque, poursuivant "des éléments avancés", ne pouvaient que tomber sur le gros de l'IR 53, rencontrant ainsi "de nouvelles unités"...

"Le soldat Bérard, de la 7ème Cie, surnommé "le mousse", en raison de son jeune âge et de sa figure juvénile, fils du chef de musique du Régiment, élève du Prytanée militaire de La Flèche; étant en permission à Rochefort au moment de la déclaration de guerre et ne pouvant pas, en raison de son jeune âge, contracter un engagement, obtient du Colonel de partir avec le Régiment, vêtu, armé et équipé en soldat. A Lobbes, il part à l'attaque avec un entrain superbe. Faisant le coup de feu, il est atteint à la joue par une balle, le sang inonde sa figure, il s'essuie du revers de sa manche, continue à tirer et ne quitte enfin la ligne de feu que sur les ordres réitérés du commandant de la compagnie (Le capitaine Constans). Devenu officier, il se fera tuer bravement au Mont-Renaud le 12 avril 1918."
Le jeune Bérard avait 17 ans depuis le 2 mars 1914. Le colonel n'a pas pris une grosse responsabilité comme le laisse supposer Couraud. En effet, le commandant du régiment était bien entendu au courant du décret du 6 août 1914 autorisant "l'engagement volontaire des jeunes gens de 17 ans pour la durée de la guerre", et qui paraitra au journal officiel le lendemain, juste le jour de l'arrivée du 57 en Lorraine.

Il était déjà difficile d'y voir clair dans le récit des engagements des compagnies, et ce ne sont pas les témoignages qui vont venir clarifier les choses. Il en sera partout ainsi, nous retiendrons donc une vue d'ensemble, un patchwork de cris et de larmes, de fuites en avant et en arrière, de fusillades, de corps à corps ici ou là, en un mot une belle pagaille et un échec sanglant.

- De tout, un peu -

Les quatre capitaines . (Utiliser le zoom)

Le capitaine Thomiré, 2ème Cie du 144ème RI. Une stèle a été élevée à l'endroit même où il fut tué, au chemin creux, non loin du cimetière militaire où il repose. (on remarquera un anachronique casque Adrian de pierre au pied du monument). Nul doute que ce brave eut été peut-être tué ou blessé de par sa fonction de commandant-kamikaze de compagnie, comme les autres. Mais le capitaine Thomiré a été victime d'un tir de 75 de l'artillerie française, le chef de la batterie les ayant confondu je suppose à la jumelle avec des allemands ? Mais aussi le lieutenant Sédillot qui était à ses côtés. Extrait du livre d'Alain Fauveau cité plus bas: "...Vers 17 heures, je venais à peine de rejoindre ma section de réserve dans le chemin quand un ouragan de feu, de fer et de fumée se déchaîna sur nous. En un clin d'oeil nous fûmes couverts par des débris de toutes sortes: terre, feuilles, branches brisées. Mes hommes éperdus, jetaient sur moi des regards terrifiés et semblaient demander grâce. La section qui était en action, démoralisée par ce feu qui venait de l'arrière, commençait à lâcher pied. Je me précipitais pour la ramener au devoir et me trouvai soudain devant un spectacle affreux. Le Capitaine Thomiré, mon cher Thomiré, gisait en travers du sentier, décapité par un obus; Sédillot, son lieutenant, était tombé sur son cadavre et râlait atteint d'une horrible blessure au crâne". Quant aux hommes de troupe qui étaient à côté, des morts et blessés aussi certainement avec ce coup en plein dans le mille.
Les premiers morts "suites bavures de guerre" de l'artillerie dans les rangs de l'infanterie française, partout en août 14, déjà, mais les premiers seulement d'une très longue liste durant toute la guerre. (Le général Percin les évalue à 75 000. "Le massacre de notre infanterie", Librairie Albin-Michel, 1921).

La reine des batailles: la peur...

Un compagnon du capitaine Thomiré participait également au combat, le capitaine Charles de Berterèche de Menditte, commandant de la 4ème Cie du 144ème R.I. Un de ses petits-fils, le général Alain Fauveau, a écrit un ouvrage intitulé "Le vagabond de la grande guerre". Souvenirs et impressions de guerre de son grand-père, récits d'une honnêteté et d'une sensibilité rares, voici  un morceau choisi, à lire et à méditer ICI.

Nous n'en finirions plus d'effectuer des recoupements, de comparer les sources, les témoignages, afin de traquer les erreurs, les confusions ou les exagérations, pas assez de place ici pour les citer toutes. Après ce laborieux travail pourtant inachevé, c'est avec un grand soulagement que je vais passer à la suite du parcours de Raymond et de ses camarades.

Et maintenant, marchons...


- Promenade héroïque à Lobbes: (pdf 2 Mo)
- Lobbes Août 14: (pdf 1,6 Mo)
- Mémoire 2001: (pdf 1,7 Mo)
- Les carnets de route du sergent Dartigues: (pdf 1,2 Mo). Du 19 au 23 août.
- Le cahier de Constant Vincent, 7ème Cie: (100 Ko word).
- Un témoin de la 7ème Cie: (pdf 500 Ko) et transcription maison sur word. Nom de l'auteur inconnu. (A noter des précisions sur l'endroit où fut tué le soldat Guiraut, et donc le capitaine Constans et les autres...)

 


 

30 avril 2006

TRAVAUX DES CHAMPS SUR LE PLATEAU DE HEULEU

travauxchamps

Cette journée du 23 août tient une place particulière dans le parcours de la 70e brigade mais aussi dans la mémoire collective des habitants de Lobbes. En effet, ce fut le « baptême du feu » pour le 144e et une partie du 57e R.I sur ce coin de terre de la province de Hainaut, lequel ne verra plus d’autres combats durant toute la guerre. Nous sommes loin d’autres régions plus tard ravagées, aux villages rasés, pris et repris maintes fois, au sol lunaire foulé par des centaines de milliers de combattants durant plus de quatre années. 23 août 1914 la bataille, puis le repli le 24, et le 25 Von Bulow (2ème armée) est déjà à la poursuite de tous les Raymond de la Vème armée sauvée in extremis de l’anéantissement par la clairvoyance et l’initiative de son chef, le général Lanrezac.
Le caractère exceptionnel donc, de ces évènements dans la région, va faire naître un culte du souvenir pour ces combattants français. La guerre finie, des familles viendront se recueillir sur les tombes après un long voyage depuis Bordeaux ou les régions voisines. Mais elles ont été trompées, car il est certain que la plupart des noms sur les croix ne correspondent pas à ceux qui sont dessous. Nous y reviendrons.

Couraud : «… Deux jours seulement après le combat on leur permet (aux belges) d’ensevelir nos morts ; ils s’y emploient avec un louable empressement et les plus délicates attentions, et identifient tous ceux que le moindre objet permet de reconnaître. Malheureusement, les soldats allemands, pillards sans vergogne, sont passés par là et beaucoup de français ont été dévalisés. Les souvenirs recueillis, la guerre finie, seront remis aux parents des morts. »
"Avec les plus délicates attention", l'identification des morts, beaucoup à dire sur ce sujet là aussi.
Les civils belges vont identifier puis ensevelir les soldats français. Ajoutons que nombre de morts seront manipulés trois fois … D’abord les tombes, éparpillées dans les champs et des fosses communes, puis un cimetière provisoire, et enfin celui que nous pouvons voir aujourd’hui. Le louable empressement et les délicates attentions selon Couraud, non !
« Deux jours seulement après le combat… » . Car durant ces deux jours, les allemands ramassent en priorité leurs morts qui sont nombreux aussi et les inhument en plein champs ou dans un cimetière improvisé. Georges Gay cite le chiffre de 245.
Les photos suivantes montrent le paysage des champs du plateau de Heuleu, avant les regroupements des tombes.

Français : 1 - Lieutenant DELITAT (57e R.I.) près de la ferme Philémon. 2 - Tombes isolées. 3 - La surface indique certainement une fosse commune à plusieurs soldats.
4 - BAZIGNAN Roger Pierre (144e R.I.). 5 - Un officier français (On peut lire sur une photo plus grande "1 französ.Offizier").

Allemands : 1 - Une tombe certainement de l’autre côté de la ferme Philémon par rapport à l’emplacement de celle du lieutenant Delitat. 2 - 3 - 4 - Peut-être une partie du cimetière provisoire allemand, surtout la N°4 qui n’est pas isolée; fosse commune car on peut compter une quinzaine de noms sur ce qui semble être une liste sur la croix.

- De cimetière en cimetière -

Beaucoup de déplacements de corps, de fosses communes en tombes individuelles, des champs de betteraves à l’ancien cimetière, de l’ancien au nouveau…

Et quelques photos rassemblées ici.

1 - L’ancien cimetière mixte franco-allemand. On remarquera les croix de pierre typiques allemandes fournies par l’occupant. Des noms et prénoms, des villes de recrutement ou de garnisons de régiments, TARBES, BAYONNE, LAINTES (lire SAINTES…) et partout « RG DE BORD » pour « régiment de Bordeaux ». Excepté pour le 144ème RI le régiment du défunt n’était pas « de Bordeaux », à moins que cela signifie « régiment du 18ème CA » dont le siège était la capitale girondine. 

2 - 3 - Le nouveau cimetière : Croix de pierre « allemandes » déplacées, croix de bois encore puisque cet endroit était déjà, aussi, un cimetière provisoire. Et puis le monument… Sur un bas-relief en métal, on pouvait voir un soldat tombant sur le corps de son capitaine. Le soldat était GUIRAUT Louis Gabriel Jean, 20 ans, et le capitaine, CONSTANS Joseph Louis Marie, 43 ans, commandant de la 7ème Cie. Nous reviendrons sur Guiraut plus loin avec la lettre du père, dans « les témoignages »…

4 - 5 - Inauguration en 1934 du nouveau monument. L’ancien avait une autre allure, quelque chose « d’antique », mais il ne pouvait être vu d’assez loin sans doute… Les croix allemandes sont toujours là, elles seront plus tard remplacées par les croix classiques et normalisées .

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Ce sujet des inhumations est très compliqué à mettre à jour ici, il faudrait lui consacrer un blog entier.
On a (les belges) prélevé sur les corps livret militaires, plaques d'identité, bagues, montres, argent... Il est certain que tout n'a pas été restitué aux familles après guerre comme l'écrit Couraud... Excepté quelques tombes individuelles surtout des officiers, les corps ont été mis en fosses communes, tous sans cerceuil évidemment. Quatre années plus tard, lors des transferts de ces corps entassés vers des tombes que l'on voit aujourd'hui, on comprend que ce fut du grand n'importe quoi pour mettre des noms sur les croix.
Des listes de corps en fosses commune avaient été établies, mais impossible de préciser qui on a réhinumé en tombe individuelle.
Pauvres familles lors de la restitutions de certains corps en 1922 qui croyaient que leurs êtres chers étaient dans le cercueil...
La solution honnête eut été de mettre tous les corps initialement en fosses communes dans un ossuaire comme on en voit dans nombre de nécropoles nationales, avec les noms gravés sur le monument.

Franz Daivier, de Lobbes, un fouilleur passionné m'a envoyé un grand nombre de documents trouvés à la maison communale (la mairie), je mets ici des liens vers ce sujet du Forum Pages 14-18 (son pseudo daivier). A noter sa citation: "Il n'est pas une vérité qui ne porte avec elle son amertume" Albert Camus. 

La bataille de Lobbes

Les tombes

  - Frères jusqu'au bout... -

Parmi les 118 croix du 57° R.I. au cimetière de Lobbes, des cas... Les frères jumeaux COTTREAU, de Saint Thomas-de-Conac, Charente Maritime. Henri et Paul, 23 ans. 5ème Cie. Ils étaient tous deux portés disparus sur l'état nominatif des pertes du régiment rédigé à l'époque. La fiche MDH de Paul comporte des erreurs: Le lieu, entre Thuin et Gozée, lire Lobbes, et le genre de mort, enseveli en service commandé. Le 57 n'a jamais combattu entre Thuin et Gozée et il n'a reçu que quelques billes de schrapnels qui bien entendu ne peuvent ensevelir personne. Mais comme nous l'avons vu plus haut, des corps ont été déplacés, depuis les premières tombes en plein champ ou d'un premier cimetière provisoire jusqu'à celui de Heuleu, et le rédacteur de la fiche a peut-être simplement recopié en 1921 (année modèle de la fiche) l'information qu'il avait sous les yeux: Cottreau Paul a été retrouvé enseveli. Et il a ajouté en service commandé afin de justifier la mention Mort pour la France. Fin de mes cogitations... Petit photo-montage maison, les fiches et les croix (avec une erreur, Cottereau), cliquez ICI
Autres frères mais pas jumeaux, les LARANE, Joseph et Michel, 21 et 23 ans, 6ème Cie ICI .
Nous en verrons bientôt d'autres, jumeaux ou pas, car les frères étaient bien souvent dans le même régiment en 1914. Question de moral ? D'entraide et de cohésion ? Si c'est celà, ils étaient non seulement dans la même compagnie mais bien entendu dans la même escouade... Et quand un coup dur arrivait sur les 15 hommes, il y avait une forte probabilité pour que les deux soient tués ou blessés le même jour et au même endroit. On ne pouvait pas trouver mieux pour endeuiller à ce point une famille. Deux d'un coup...Il semble que cette pratique, regroupement de frères dans la même escouade ait été abandonnée à partir de 1915.

29 avril 2006

LES PERTES ET LA QUESTION DES DISPARUS

En fin de soirée les hommes sont appelés, et comptés… Pour être déclarés « tués » ou « prisonniers » (blessés ou non), les combattants devaient avoir été reconnus par des témoins. Mais on comprend aisément que dans la bataille, chacun pense à autre chose qu’à surveiller son voisin. De plus, les escouades et même les compagnies étant parfois mélangées par l’action, le nom de celui qui vient de tomber n’est pas nécessairement connu des témoins, lesquels peuvent ensuite être à leur tour touchés... Un officier rédige un "état nominatif" des pertes plus ou moins renseigné selon que l’on a pu rester maître du terrain et identifier les siens, ou au contraire l’abandonner à l’ennemi avec morts et blessés graves comme ce fut le cas à Lobbes.
Chaque feuille de cet état nominatif comporte 8 colonnes : Noms - Grades - Tués - Blessés - Prisonniers - Disparus - Chevaux tués ou perdus - Observations (Le N° de la compagnie étant noté dans cette dernière). Au bas de chaque feuille : "A reporter", et à la fin de la dernière : "Total général"… Il y a 12 feuilles pour le combat de Lobbes le 23 août et 1 pour Fontaine-Valmont le 24. 

Lobbes_pertes

* Fontaine-Valmont : Couraud (Le 57ème RI pendant la Grande Guerre) ne donne pas de chiffres excepté le capitaine de la 9ème Cie tué. Pour les autres, il s’agit de "quelques tués et quelques blessés".

En moins de 2 heures de combat le régiment a donc perdu 336 hommes dont 155 tués ou morts des suites de leurs blessures. 40% des hommes du 2° Bon manquent à l'appel.

Dans l’état nominatif de 1914, les tués et prisonniers ont eu des témoins, certains blessés laissés sur place aussi, les autres ont pu être ramenés en arrière. D’où le faible nombre de ces "certifiés" par rapport aux disparus. Voir le tableau des pertes réalisé selon l'état nominatif de 1914.
Couraud était bien placé pour disposer de données plus précises bien qu’incomplètes. Les chiffres ont été revus à la hausse pour les tués et les prisonniers, et donc à la baisse pour les disparus. Ces disparus seront en 1920, 21, déclarés "tués à l'ennemi" par les tribunaux.
Le cas de Lobbes est très représentatif de ces écarts. 23 et 24 août 1914, puis la retraite le 25, la région restera aux mains des allemands durant toute la guerre. On comprend donc que toute information sur les disparus était difficile à obtenir voire impossible, excepté pour les prisonniers dont les familles seront informées, via la croix rouge, quelques semaines plus tard.

Le premier numéro du journal Sur Le Vif parait le 14 novembre 1914. Cet hebdomadaire publie dès le N° 2, pour les familles inquiètes, des listes et des photos de disparus. Sur ces listes, des renseignements plus ou moins complets et précis envoyés par les familles: nom, prénom, régiment, matricule, compagnie, et date (parfois approximative) de la disparition. Mais il pouvait s’écouler un temps très long entre la réception de ces informations par le journal et la publication des annonces de recherche. Quoiqu'il en soit, ces annonces, véritables "bouteilles à la mer", restent un témoignage émouvant d'espoir et de refus de la réalité... Et puis, qui pouvait donc reconnaître Untel dans le journal ? Etait-il seulement lu au front ? Les camarades proches des disparus écrivaient aux parents. J'imagine... "J'ai perdu de vue votre fils, et lorsque l'appel a été fait le soir, il était absent"... Alors quoi ? Si après des mois il n'a pas été déclaré "tué, blessé ou prisonnier", si aucune nouvelle de la Croix rouge, qu'a-t-il bien pu lui arriver ?... Pauvres familles…
Parmi les disparus à Lobbes le 23 août, quatre seront « dans le journal »… JANIS et PACHIER. N° 28 du 22 mai 1915… Arthur Narcisse et Jean sont morts depuis 9 mois… POCHELU et MARTRAIRE, N° 35 et 36 des 10 et 17 juillet 1915… Paul et Eugène Jacques sont morts depuis 11 mois… Tous les quatre étaient effectivement disparus, et ils le sont toujours… Ils n’ont pas de tombe à Lobbes. Ils sont réunis ici. Leur photo extraite du journal, puis l’annonce de recherche, et enfin leur fiche MDH… (Utiliser le zoom).

D'autres journaux publient des annonces, tel l'Excelsior et sa rubrique "OU SONT-ILS ?". Dans le numéro du 13 décembre 1914 les parents de GAUTIER René Alexandre, caporal à la 7eCie cherchent toujours leur fils... Il a été tué le 23 août à Lobbes, encore un disparu...

28 avril 2006

LE CHOC...

Assaut

- 23 août -

Le Japon déclare la guerre à l’Allemagne.

La bataille dite "de Charleroi" est déjà engagée depuis le 20 août. A gauche de la Vème armée, les troupes anglaises sont fortement poussées par la 1e armée de Von Kluck. A droite, la IV° De Langle de Cary connait le même sort face à la 3e de Von Hausen. Au centre, la 2° armée Von Bulow a pris Charleroi le 21 et avance ses corps d’armée à la rencontre de la de Lanrezac dont le 18e CA occupe maintenant la gauche.

La 35e DI est réduite à la 70e Bde (57e et 144e RI), la 69e (6e et 123e RI) ayant été mise à disposition du 3ème CA.
A 07h la brigade se rassemble aux lisières nord du bois de Fontaine-Valmont, à 3 km au sud-est du village. Pour la première fois les hommes entendent une violente canonnade vers Thuin, et qui s’étend peu à peu vers l’ouest. Des avions allemands survolent les troupes. L'ennemi est bien renseigné.
Un repas froid est pris, et les voitures du train de combat s’approchent des compagnies. Des munitions supplémentaires sont distribuées, la dotation en cartouches de chaque soldat, 80 initialement, est portée à 150. Ces préparatifs annoncent le combat proche.

Les allemands vont bien entendu franchir la Sambre à Lobbes. La 70e Bde reçoit l’ordre de les repousser et se met en marche à 13h. Le dispositif est constitué du 144e RI, puis à suivre des 5e, 6e, 7e Cies et la CHR du 57. La 8e Cie est placée en soutien d’artillerie au sud du bois de Leers-et-Fosteau, le 3e Bon gardera les passages sur la Sambre. Le 1er Bon ne sera pas engagé ce 23 août, il couvrira le repli le 24.

Cdt Couraud : « .....La marche d’approche se fait en ordre malgré les difficultés d’un terrain parsemé de maisons isolées, couvert de cultures et coupé de clôtures, de haies et de bois difficiles à traverser. Vers 15h, au débouché du bois de Leers-et-Fosteau, des isolés de la 11e Bde sont rencontrés. Très excités par le dur combat auquel ils ont pris part, le visage vultueux ou très pâle, sous un masque de poussière, le front ruisselant de sueur, le regard brillant, le geste saccadé, ils disent les pertes de leur régiment, l’ennemi nombreux, manoeuvrier, bien armé et implacable..... ».

Ces combattants appartiennent au 3e CA, 6e DI (24e et 28e RI de Paris, Bernay, Evreux).Raymond et ses camarades, ceux qui reviendront du baptême, vont bientôt leur ressembler, aux rescapés du 28ème...

Arrivé au nord du bois de Biercée, traversant une zone découverte, les compagnies sont surprises par des éclatements de schrapnels. Ces obus, conçus et réglés pour éclater avant d’atteindre le sol et arroser d’une grêle de billes l’adversaire explosent cette fois trop haut sans faire de blessés. Dès la première explosion les sections ont aussitôt formé la carapace, les hommes assis sur les talons et la tête contre le sol, protégés tant bien que mal par le sac. Ces tirs ratés, contre lesquels ils avaient tant de fois répété la manoeuvre, les rassurent un peu et l’averse passée, la troupe se remet en marche.

17h30 : Le 144e RI engage un violent combat au sud de Lobbes, aux débouchés du pont. A environ 300 mètres en arrière, les soldats du 57e entendent la fusillade. La carte ci dessous est extraite d'un fascicule commémoratif belge qui sera évoqué dans la rubrique suivante, "Hommages et témoignages".

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Dans le remarquable ouvrage de Georges Gay on peut voir des cartes plus précises: Situation du 18ème C.A.  le 23 août à divers moments de la journée ainsi que sur le plateau de Heuleu (La flèche rouge indique la zone de combat de la 7e Cie)

Des troupes allemandes ont franchi la Sambre par les deux ponts de chemin de fer non gardés, situés à l’ouest de Lobbes. Les trois compagnies du 57e obliquent alors sur la gauche et s’avancent à couvert sur une centaine de mètres dans le ravin boisé du ruisseau de Villers, pour déboucher, face au nord, sur le plateau de Heuleu, prêtes à attaquer l’ennemi qui menace le flanc du 144e. Au moment où les compagnies abordent le champ, elles essuient quelques coups de fusils venant de la lisière d’un bois situé à 200 mètres. La 7e Cie est désignée pour enlever cette position.

Raymond : « ....Le capitaine a dit : « mettez baïonnette au canon, nous avons les allemands à 200 mètres… ».

C'était là... Ils ont du avoir une vision semblable du paysage lorsqu'ils se sont lancés à l'attaque. De nouveaux arbres certainement, de nouvelles cultures, mais peu de changements entre 1914 et 2000 sur le plateau de Heuleu. "...nous avons les allemands à 200 mètres..."

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Règlement de l’infanterie française de 1913 : « ...L’infanterie est l’arme principale ; elle agit par le mouvement et par le feu. Seul, le mouvement en avant poussé jusqu’au corps à corps est décisif et irrésistible....
...La baïonnette est l’arme suprême du fantassin. La section marche à l’assaut au pas de course, au commandement de « en avant, à la baïonnette » du chef de section, répété par tous. Chaque tirailleur doit tenir à l’honneur de triompher du plus grand nombre d’adversaires possible et la lutte se poursuit à l’arme blanche avec la plus farouche énergie jusqu'à ce que le dernier combattant ennemi soit hors de combat, ait mis bas les armes ou ait fui..... »
Nous avons là une des causes des pertes effroyables subies en août 14.

Couchées dans un fossé, les sections se préparent. Raymond est là, parmi ses camarades. Que fait-il ? A quoi pense-t-il ? On resserre les sangles de l’équipement, surtout que rien n’entrave, que rien ne gêne le mouvement proche. « Baïonnette au canon ! ». Chuintement des lames sorties des fourreaux, cliquetis de l’ajustage au bout du fusil. C’est pour maintenant.
Au signal du capitaine Constans qui s’élance le premier, les quatre sections de la 7e Cie se portent en avant. Dans les premiers instants il ne se passe rien, puis les premiers coups de feu partent du bois. Quelques hommes tombent, mais la course continue. A mi-parcours une clôture de fils de fer coupe le champ et l’élan est brisé. Un genou à terre ou couchées, les sections exécutent un tir rapide en direction du bois pendant que des passages sont ouverts. Puis l’assaut reprend, pour s’arrêter à nouveau sous le feu de plus en plus intense de l’ennemi. Une patrouille envoyée sur la gauche, dans un autre bois plus proche, signale que de nombreux allemands arrivent par là, menaçant le flanc de la compagnie.

Couraud : « Pour parer au danger d’enveloppement, puis prendre à revers l’ennemi posté en bordure du bois, le capitaine Constans se porte sur la gauche avec toute la 7ème Cie. A son signal la Cie se relève et, faisant un à gauche par quatre, avance dans la direction menacée. Pipe aux lèvres, sabre en main, le capitaine entraîne courageusement ses hommes. A la vue de l’ennemi il crie : « Hardi les gars ! Nous les tenons ! » Mais à peine engagée sous bois, la tête de la colonne tombe sous le feu violent des mitrailleuses embusquées à faible distance, qui fauchent les premiers rangs des assaillants. « N’avancez plus mes enfants ! » crie le capitaine Constans qui, l’un des premiers, tombe mortellement frappé. ».
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Faisant un à gauche par quatre" ?... Couraud y était, mais ce à gauche par quatre, comme à la parade, me laisse dubitatif. Passons.
Dans son dossier au SHD Vincennes, le capitaine Constans est cité à l'ordre de la Division, pour Après avoir été blessé par une balle, s'est relevé et a été mortellement frappé au moment où il commandait "en avant" à sa compagnie.

Les sections refluent en désordre, des hommes tombent, crient, appellent... Le lieutenant Couraud se place à la tête de la Cie, rassemble et place les sections en position défensive. Un tir rapide est effectué sur l’ennemi qui arrête sa progression.

Et Raymond dans tout ça ? "… Ma capote trouée par une balle et mon fusil cassé en deux !…" . Une balle a du frapper le bois du fusil , quoiqu'il en soit c'est arrivé à un autre, le soldat Labadie de la même compagnie que Raymond.

Difficile de détailler la suite des évènements, tant les situations sont confuses, les assauts menés dans tous les sens, chaque compagnie luttant de son côté. Mortelle pagaille... On croit rêver, ou plutôt cauchemarder, à la lecture des comptes rendus et témoignages.
« Attaquons comme la lune » (Phrase attribuée au général Lanrezac).

Le commandant du régiment, le colonel Dapoigny, lance la 5e Cie sur le flanc de l’ennemi qui menace la 7e. Mitraillée, écrasée sous le nombre, la 5e recule à son tour. Puis la 6e Cie attaque également, avec le même résultat.
Alors, avance la CHR avec le colonel. Ce n’est pas calmement, musique en tête comme à Waterloo, mais drapeau en tête… Une balle éclate l’étoile de la légion d’honneur accrochée en haut de la hampe. Croix décernée au régiment pour la prise du drapeau d'un bataillon du 16ème régiment d'infanterie prussienne à la bataille de Rezonville le 16 août 1870, l'un des deux pris à l'ennemi par les armées françaises durant ce bref et désastreux conflit. Et c'est ce même 16ème d'infanterie qui est là, et convoite le drapeau du 57ème. Une balle effleure la joue du colonel et entaille l'oreille, c'est de la folie furieuse... Combats à la baïonnette écrit Couraud,  fusillades… Le drapeau tant convoité doit reculer, passant de mains en mains pour l’éloigner des premiers rangs, il est finalement sauvé. Mais bientôt la CHR doit se replier sur la ferme Philémon, chercher l’abri d’un mur.
Pendant ce temps, des troupes continuent à franchir la Sambre. Les débouchés du pont de Lobbes sont toujours tenus par le 144e RI, mais par les deux ponts de chemins de fer, d’autres colonnes de casques à pointe arrivent (I.R.53). Ces éléments marchent ensuite au fond de la vallée, longeant la rivière, puis montent les pentes boisées et menacent de tourner le 2e Bon en cherchant à le déborder vers la ferme de La Folie. Les premiers groupes sont refoulés à la baïonnette
Couraud : « Les premiers éléments qui arrivent sont pourchassés à la baïonnette par les sections du lieutenant Chevallier et, devant l’admirable ténacité de ces sections, dont le chef paie d’exemple, après de nombreux et violents corps à corps tout à l’avantage des Français, l’ennemi doit momentanément cesser son avance ».

19h00 : Le colonel reçoit l’ordre de rompre le combat. Il était temps… Les décrochages des sections de ces compagnies éparpillées sont difficiles, toujours au contact de l’ennemi. Les combats ont eu lieu dans les champs, mais aussi dans les bois où nombre d’éléments se trouvent encore.

Le premier engagement a débuté par une surprise (les mitrailleuses dans le sous bois). L’un des derniers va se terminer par une autre…

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Couraud : « A ce moment, (le décrochage) vers l’extrémité ouest de la clairière, venant de la partie boisée au nord de La Folie, une forte troupe dont le costume n’a rien de celui des français monte sans tirer un coup de feu avec un calme déconcertant. En tête, deux ou trois gaillards de haute taille brandissent des drapeaux belges et poussent des cris où l’on croit comprendre « Amis ! Amis ! Ne tirez-pas ! ». Indécis sur la nationalité des assaillants les Français ne tirent pas et laissent approcher la troupe jusqu’à 200 mètres. A ce moment, se repliant de la première ligne, un soldat de la demi-section du sergent Hauret (7e Cie) débouche du bois et, prêt à se heurter aux assaillants, vide sur eux à toute vitesse le magasin de son fusil. Il a reconnu les casques à pointe dissimulés par un manchon et donne l’éveil. Les Allemands qui pensaient surprendre le rassemblement français, le culbuter à la baïonnette et prendre à revers les fractions sous bois, se déploient, se jettent à terre et ouvrent un feu meurtrier sur les Français sur lesquels vient de se replier le drapeau avec sa garde… »

Mais des 150 cartouches que les hommes avaient au départ, il n’en reste pas beaucoup, les cartouchières de la plupart sont vides. L’ennemi a compris. Les compagnies ou ce qu'il en reste sont regroupées autour du drapeau, et s’apprêtent à repousser (à la baïonnette...) les allemands qui donnent l’assaut final.
La situation, déjà plus que grave, n’est pas loin d’être désespérée…
Couraud : « Alors intervient la 1ère section de mitrailleuses, jusqu’alors restée en position de surveillance en arrière de la droite du Bon. Le lieutenant Joubé accourt et en quelques secondes, à quelques centaines de pas des Wesphaliens, met ses pièces en batterie et ouvre sur eux un tir rapide. »
Les premiers rangs ennemis tombent,les autres reculent, les allemands découvrent à leur tour « la faucheuse ». Et bien voilà ! Nous reviendrons plus loin sur l’emploi des mitrailleuses (ou plutôt leur non emploi…) en août 14. Le danger est écarté. Couvertes par les deux pièces, les 5e, 6e, 7e Cies et la CHR, ou ce qu’il en reste, décrochent et se replient dans un bois plus au sud.

C’est fini.

De nombreuses capotes bleues sont au sol, soldats morts, ou blessés que l’on n’a pu ramener, certains regagneront leurs lignes à la nuit, au prix de grandes souffrances.

21h00 : Les trois compagnies et la CHR sont rassemblées dans un bois, couvertes par quelques arrière-gardes, puis gagnent Beaumont, à 12 km au sud. Cette marche est bien pénible après une telle journée, et les combattants ressemblent maintenant à leurs camarades de la 11e brigade rencontrés sur la route en début d’après-midi.
La population les accueille, les "recueille" plutôt, à la fois reconnaissante envers ces français, et inquiète de les voir repartir. Ils sont réconfortés, reçoivent le gite pour un peu de repos, la croix rouge belge a établi des hôpitaux dans le château et le couvent. Les nombreux blessés des 57e, 144e RI, et d’autres unités, sont soignés par les médecins de la ville, par des femmes, infirmières improvisées et dévouées, par des religieuses. Il y a une princesse « De Caraman Chimay » qui a organisé les secours avec le médecin-major et les infirmiers du 18e CA. Après les premiers soins ils sont évacués sur Solre-le-Château par les ambulances du corps d’armée, mais ils n’y resteront pas longtemps, car il faudra bien vite repartir plus loin, toujours plus loin …

Extrait du Journal de Santé du régiment, Ferme Tournebride (voir carte), 17h30.
…A ce moment arrivent quelques cyclistes annonçant que les 5, 6, 7ème Cies viennent de subir un combat très sanglant près de Lobbes. Une demi-heure après arrivent à la ferme Tournebride le médecin chef Mr Sonrier, les médecins et infirmiers du 2ème bataillon. Nous installons hâtivement un poste de secours dans la cour de la ferme et les blessés commencent à arriver. Le crépuscule tombe bientôt, nous avons une cinquantaine de blessés. Hâtivement nous faisons des pansements. Toutes les troupes se retirent. Nous restons bientôt isolés. Le médecin divisionnaire Mr Biche nous ordonne de nous dépêcher à faire les pansements puis il part. A 20h30 les pansements sont terminés mais comment faire l’évacuation ? Les brancardiers divisionnaires ne sont pas là. Nous chargeons les blessés sur les brancards, sur les voitures médicales, sur des chevaux, et nous prenons la route vers Sartiau et Beaumont avançant lentement car les brancardiers (du régiment) et musiciens transportent les blessés à bras. Nous allons cantonner à Beaumont avec le 2ème bataillon (ou ce qu’il en reste) où nous arrivons à 2h du matin. De nombreux blessés sont restés sur le terrain devant la retraite des troupes et par manque de moyens de transport, les brancardiers divisionnaires n’arrivent pas à notre aide. Les blessés du 3ème bataillon surtout à la 9ème Cie restèrent en grande partie à Fontaine-Valmont et tombèrent entre les mains de l’ennemi. Il furent laissés dans un hôpital de la Croix Rouge installé au village et sous la garde du curé.

Raymond est sorti indemne de cette bataille, mais en regardant un pan de sa capote traversé par une balle, il a pu mesurer, toucher, voir LA CHANCE, ici, présente avec ce trou, comme une signature...

Tous les régiments d’infanterie de l’armée française engagés en août 14 ont connu ce « choc », et « Le mouvement décisif et irrésistible » prévu par le règlement de l’infanterie, Charles de Gaulle, lieutenant au 33e RI, l’a également vécu à la bataille de Dinant :
« ...Les balles sifflent, à présent, rares d’abord, et comme hésitantes, puis, par instants, multipliées sur tel ou tel groupe découvert....Et de courir, le cœur battant, à travers les champs moissonnés de cette fin du mois d’août, la main serrant le fusil dont on diffère de se servir.....Tout à coup, le feu de l’ennemi devient ajusté, concentré. De seconde en seconde se renforcent la grêle des balles et le tonnerre des obus. Ceux qui survivent se couchent, atterrés, pêle-mêle avec les blessés hurlants et les humbles cadavres. Calme affecté d’officiers qui se font tuer debout, baïonnettes plantées aux fusils par quelques sections obstinées, clairons qui sonnent la charge, bonds suprêmes d’isolés héroïques, rien n’y fait. En un clin d’œil, il apparaît que toute la vertu du monde ne prévaut point contre le feu. »

V° Armée,23 août, 21h
Ordre général
L’armée se repliera demain 24 août sur la ligne générale Merbes-le-Château, Philippeville, Givet.
..............
18e CA sur le front Strée (inclus), Hantes-Wihéries (exclus)
Lanrezac

Lanrezac : « Le plan de campagne français et le premier mois de la guerre » :
« L’armée française est alors dans la plus triste situation. Ce n’est pas seulement la V°Armée qui a subi un échec grave : L’armée de Langle (IV°) a été battue au nord de la Semoy et se trouve contrainte de rétrograder vers la Meuse, découvrant la droite de la V°Armée sur une profondeur de plus de deux marches. L’armée Ruffey (III°) n’a pas été beaucoup plus heureuse entre Harlon et Thionville et devra reculer sur Verdun. Les armées Castelneau et Dubail (II° et I°), après de vains efforts pour déloger les allemands de Morhange et de Sarrebourg, ont été contraintes de rétrograder, celle de Castelnau sur le Couronné de Nancy et celle de Dubail derrière la Mortagne.
Nous avons été battus partout, de la Sambre aux Vosges.
Toutes nos armées grandement éprouvées n’ont plus d’autres ressources que de battre en retraite au plus vite pour échapper à une destruction totale. »

Le général Lanrezac ordonne donc la retraite de son armée, contre l’avis de Joffre qui devra cependant se rendre à l’évidence et reconnaître le bien-fondé de cette initiative. C’est toute la V°armée qui a risqué d’être anéantie, et les autres auraient successivement subi le même sort.

Les échecs des batailles de Lorraine, de la Sambre et des Ardennes, ont consommé la faillite du plan XVII. Les raisons de ces défaites sont multiples, mais l’insuffisance et l’interprétation erronée des renseignements sur les forces ennemies par Joffre ont eu un résultat désastreux, un de plus, mais pas le dernier.
Rien ne l'autorisait à penser que les allemands ne se présenteraient pas plus au nord de Givet dans le cas de la violation de la Belgique. (cf plan de campagne français).
Le 18 août, il évaluait encore les masses ennemies au Nord de Thionville à 13 ou 15 corps d’armée alors qu’elles en comptaient 26. La surprise fut grande de rencontrer sur la Sambre des forces doubles des nôtres, étonnement aussi dans les Ardennes où, supposées très inférieures, elles étaient égales.
On n’en finirait pas d’énumérer toutes les causes des défaites, depuis les fautes et erreurs du général en chef jusqu'à celles des commandants d’unités sur le terrain. Tout est si compliqué, enchevêtré, l’action et l’héroïsme des uns ne donnent rien si à côté, à gauche comme à droite, les autres ne peuvent en faire autant. Et s’ils ont fait différemment, c’est peut-être qu’ils ont rencontré des difficultés différentes. Ici ou là, quelques succès ont été remportés, mais bien éphémères et impossibles à exploiter sans l’appui des voisins qui...Et ainsi de suite....
Sur le terrain, dans tous les ouvrages consultés qui traitent de ces combats d’août 14, les mêmes observations se retrouvent :
- Les fantassins ont été bien souvent lancés au devant des mitrailleuses dont ils ne soupçonnaient pas la présence en première ligne. Dans l’armée française, elles étaient disposées en arrière des bataillons d’attaque. « ...Alors intervient la 1e section de mitrailleuses, jusqu’alors restée en position de surveillance en arrière du bataillon... » 
- Les obusiers de campagne allemands, (à l'efficacité trop longue à détailler ici) matériel inconnu dans l'armée française d'août 14.
- Les allemands ont su exploiter au maximum l’effet de surprise, aussi bien en faisant précéder leurs masses d’infanterie par une importante et efficace cavalerie ayant pour mission de repousser toute reconnaissance ennemie, que par une utilisation judicieuse du terrain et des forêts lors des engagements.

De Gaulle : « La France et son armée » : Cet hommage aux humbles concerne la défaite de 1870, mais il est intemporel :
Troupe fidèle, qui paye de son humiliation et de sa misère des fautes qui ne sont pas les siennes. Pauvre troupe, dont les malheurs injustes demeurent comme une ineffaçable leçon dédiée à ceux qui gouvernent et à ceux qui commandent.

Tout ce qui précède vient bien entendu de mes lectures, ouvrages divers, mais surtout du livre de Couraud et du journal des marches et opérations. Il faut savoir que Couraud était le rédacteur du JMO (comme de l'historique), et qu'en militaire zélé il a raconté les choses à sa façon, toutes à la gloire du régiment. Une chose est sûre, il était lieutenant à la 7ème compagnie de Raymond, alors admettons la véracité du récit pour ce qui concerne cette compagnie. Pour le reste il s'agit de rapports ou de témoignages fournis par des officiers ou sous-officiers, notes grifonnées sans doute durant les haltes dans la retraite, puis récoltées et rédigées bien plus tard, c'est à dire fin 1914 au château de Verneuil, le régiment étant installé dans "la guerre des tranchées". Il en est de même pour les états nominatifs des pertes dont nous reparlerons.

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Le 57ème Régiment d'Infanterie en 1914
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